Histoires de vaccins

par Jean Roussaux


           C'est dans la deuxième moitié du XIXème siècle que se développe la notion de vaccin et le rôle protecteur des vaccinations. En étudiant le choléra des poules, une maladie bactérienne sans rapport avec le choléra humain, Pasteur découvre que l'injection d'une culture vieillie du microbe protège les animaux de l'infection. Il appelle le phénomène vaccination en hommage à Jenner (1749-1823) qui avait montré qu'une préparation de vaccine, une forme bénigne de la variole de la vache (picote ou cow-pox), protégeait l'homme de ce redoutable fléau, non seulement souvent mortel mais qui laissait sur le visage des épargnés les cicatrices des horribles pustules qui caractérisent la maladie, encore appelée vérole. Ainsi Jenner avait en 1796 inoculé un enfant de 8 ans avec des pustules d'une fermière atteinte de la variole de la vache puis, pour bien vérifier l'efficacité de son vaccin, il avait ensuite inoculé la vraie variole au jeune enfant. Heureusement celui-ci avait survécu à cette expérimentation risquée.


La variolisation

           En fait des mesures préventives étaient connues depuis fort longtemps dans le cas de la variole. Elles avaient vu le jour en Inde, puis en Chine où l'on introduisait des excoriations de pustules de varioleux dans le nez, obtenant ainsi une certaine prémunition. Migrant par le Caucase, ces pratiques, qui s'étaient modifiées, se répandent en Turquie au XVIème et XVIIème siècles. De là, la variolisation fut introduite en Europe par Lady Wortley Montagu, femme de l'ambassadeur anglais en Turquie qui avait fait inoculer son fils de 6 ans à Istamboul. La variolisation se pratiquait aussi en Arabie et, selon Voltaire dans son dictionnaire philosophique, les femmes géogiennes et circassiènnes, fort appréciées dans les harems des sultans Ottomans, étaient inoculées dans une partie cachée de leur corps avant d'être vendues. Il est vrai qu'un visage grêlé de disgracieuses cicatrices aurait gâché la marchandise et abaissé notablement son prix.

           La pratique de la variolisation était finalement fort répandue. Ainsi lorsque Louis XV mourut en quelques jours de la variole en 1774 à 64 ans, cette mort tragique eut pour conséquence de convaincre la cour de se faire varioliser. La variolisation eu lieu à Marly et en particulier on inocula le Roi Louis XVI, le comte de Provence (futur Louis XVIII) et le comte d'Artois (futur Charles X). On fit appel à un inoculateur à la mode, Jouberthon ainsi qu'au premier médecin des Camps et Armées de sa majesté, un certain Richard.


Premiers travaux de Pasteur

           Pasteur et ses collaborateurs, Chamberland et Roux, avaient fait une belle expérimentation sur les conditions de l'atténuation de la virulence des bactéries responsables du choléra des poules. A partir de 1879, Pasteur transposera la méthode au cas du bacille charbonneux qui avait été bien étudié antérieurement par Robert Koch (autour de 1875) après qu'il eût été initialement observé dans le sang par Casimir Davaine en 1865.

           La maladie du charbon décimait les troupeaux et avait une grande importance économique. Aussi, en 1878, le ministère de l'Agriculture avait-t-il contacté Pasteur pour le charger de déterminer les modalités de la contagion du charbon. Pasteur démontra que le charbon est inoculé aux animaux au niveau de petites plaies dans la bouche et que les vers de terre participent à la contagion en apportant à la surface du sol les spores charbonneuses présentes dans les animaux morts du charbon que l'on enterrait en plein champ.

           Mais surtout Pasteur rechercha ensuite un vaccin, espérant atténuer la virulence en cultivant les bactéries charbonneuses à 42-43 degrés et en insufflant de l'oxygène comme Roux l'avait fait dans le cas du choléra des poules. Les résultats des essais ne furent pas parfaitement concluants, le vaccin n'était pas au point. Néanmoins Pasteur accepta de relever un défi lancé par un vétérinaire, Hyppolite Rossignol et le Président de la Société d'Agriculture de Melun, le Baron de la Rochette pour démontrer publiquement l'efficacité de son vaccin. Les expériences se déroulèrent en présence de plusieurs centaines de personnes dont la plupart des notables du département de Seine et Marne et de plus d'une dizaine de vétérinaires. C'est la fameuse expérience de Pouilly le fort qui fut couronnée de succès : tous les animaux préalablement vaccinés résistèrent à une inoculation de la bactérie virulente alors que les animaux non vaccinés moururent. Ce que l'histoire a moins retenu c'est que ce succès tenait à la substitution du vaccin de Pasteur par un vaccin préparé par Roux et Chamberland en présence d'acide phénique et de bichromate de potasse. En effet, en présence de ces produits la bactérie du charbon ne forme pas de spores et peut être facilement atténuée.

           Roux et Chamberland seraient donc les vainqueurs de Pouilly le fort. En même temps, ils auraient sauvé la mise à leur patron ! Toutefois la vérité ne fût dévoilée que plus tard car Pasteur refusa obstinément la publication de cette technique qui contredisait la méthode d'atténuation par l'oxygène et la chaleur qu'il avait exposée à l'Académie des Sciences.


La vaccination contre la rage

           La vaccination qui allait rendre Pasteur célèbre, c'était celle contre la rage. Il ne s'agissait pas d'ailleurs d'une vaccination préventive mais bien d'un effet curatif rendu possible parce que la maladie avait une longue période d'incubation, le virus devant remonter depuis le lieu de la morsure jusqu'au système nerveux central. D'ailleurs Pasteur avait montré sur le chien que le temps d'incubation était très réduit si l'inoculation était faite directement au niveau cérébral après trépanation.

           La maladie était relativement rare mais toujours mortelle lorsqu'elle était déclarée. Avec la salive d'un l'enfant mort de la rage à l'hôpital Trousseau à la suite d'une morsure au visage, Pasteur inocule des lapins. Des lapins meurent mais d'autres maladies que la rage. En effet dans la salive il n'y avait pas que l'agent de la rage mais aussi d'autres bactéries éventuellement pathogènes comme des pneumocoques. Bien sûr, Pasteur n'avait pas pu voir l'agent de la rage car celui-ci était indécelable au microscope optique, il s'agit en effet d'un virus. En désespoir de cause, pour vacciner, il appliqua sa méthode d'atténuation de la virulence inaugurée dans le choléra des poules. Comme la maladie affecte le système nerveux, il prélève des fragments de moelle épinière de lapin enragé et les conserve dans des flacons bien bouchés contenant un agent desséchant. Tout le monde a vu le tableau qui montre Pasteur examinant l'un de ces flacons contenant le fragment de moelle pendant au bout d'un fil. Et c'est cette moelle porteuse du virus atténué par le séjour en milieu desséchant qui lui sert à la préparation de son vaccin lequel s'applique en inoculations successives. Le coup de maître est la guérison du petit joseph Meister (1885) puis du berger Jupille qui avait défendu plusieurs enfants contre un chien enragé. A partir de ce moment, sa renommée aidant, Pasteur put faire état d'un nombre impressionnant de guérisons (830 en 3 mois). Des patients mordus venaient de partout, même de Russie et même des Etats-Unis. Le nombre des cas de rage augmentait dans des proportions considérables si bien qu'un détracteur de Pasteur, il en avait encore, le docteur Lutaud pouvait dire qu'avec « 4000 cas pendant l'année on serait tenté de croire que les gens deviennent enragés à plaisir depuis qu'on leur offre une certitude de guérison ».

           L'innocuité du vaccin n'était certainement pas indiscutable. Il provoquait des réactions allergiques aux tissus nerveux et quelques morts ont entaché cette belle réussite : dix morts sur 1700 patients Français dit-on. L'une des premières victimes fut une petite fille hospitalisée à l'hôpital de Saint-Denis qui décéda deux jours après l'injection. Une autre faillit faire rejeter le vaccin.

           En effet, le 20 octobre 1886, l'enfant Rouyer mordu par un chien enragé une douzaine de jours auparavant est soumis au traitement vaccinal. Mais l'enfant meurt le 26 novembre à l'hôpital où on l'a transporté pour des douleurs lombaires suite à un coup reçu dans le dos. Le père soutient que le décès est dû au traitement. A cette période, Pasteur est en Italie. Deux de ses collaborateurs, Loir et Grancher, assistent à l'autopsie en même temps que deux témoins représentant Rouyer, l'un est Clémenceau car il a soutenu une thèse de médecine sur la génération spontanée ce qui l'avait d'ailleurs opposé à Pasteur une vingtaine d'années avant. Le professeur Brouardel, médecin légiste, pratique l'autopsie. Les reins sont congestionnés et l'urine est opaque, on suspecte une maladie rénale. Le principal collaborateur de Pasteur, Emile Roux, mis au courant de la gravité de la situation, demande un prélèvement de moelle pour le tester sur des lapins. Brouardel prélève le bulbe rachidien et Rous inocule deux lapins avec le broyat. Après deux semaines les deux lapins sont paralysés, premier signe de la rage. Assurément, La vaccination du jeune enfant n'a pas été efficace. Loir se rend en Italie pour informer Pasteur de la gravité de la situation qui risque de remettre en cause la méthode vaccinale contre la rage. En fait, l'affaire Rouyer fût désamorcée. Il semble en effet que Brouardel, conscient que l'accident peut faire rejeter définitivement le traitement antirabique, ait convoqué Roux discrètement et lui ait demandé s'il croyait totalement à l'efficacité de cette vaccination. Alors que Pasteur est toujours en Italie, Roux et Brouardel se rendirent à l'Académie le 4 Janvier. Roux fait alors un faux manifeste en prétendant que les lapins se portent bien. Quant à Brouardel, il attribue le décès de l'enfant à une insuffisance rénale. Pasteur préféra, semble-t-il, se tenir à l'écart de cette filandreuse affaire.

           De l'étude des cristaux inanimés, abordant les microorganismes lors des études sur les fermentations puis les insectes avec le ver à soie, Pasteur passe à l'animal avec le charbon. En 40 ans, le chimiste est devenu biologiste et médecin. Considéré comme bienfaiteur de l'humanité, Membre de l'académie des Sciences (1862), de celle de Médecine (1873) et même candidat malheureux au sénatoriale du Jura, l'ouvre de Pasteur est couronnée par la construction de l'Institut Pasteur (1888) et le Jubilé en 1892, avant sa mort en 1895...


A la recherche d'un vaccin

           Avant Pasteur on ne connaissait guère que deux vaccinations efficaces, celle contre la variole proposée par Jenner et celle destinée à protéger le bétail de la péripneumonie due à un jeune médecin belge, Louis Willems. Aussi les recherches se développaient-elles activement pour découvrir des vaccins pour prévenir les maladies de l'époque. L'une de ces maladies était la syphilis.

           Comme la syphilis présente des symptômes cutanés comme la variole, un certain docteur Auzias-Turenne expérimenta la syphilisation sur le singe. En 1848, à l'hospice de l'Antiquaille où Paul Diday, le plus parisien des médecins lyonnais, étudiait la syphilis, on inoculait des patients avec le sang d'un malade atteint de syphilis tertiaire, la forme ultime de la maladie. On pratiquait des inoculations successives de chancres et divers médecins français ou italiens développèrent des méthodes analogues. Certains pensaient que l'on devrait « syphiliser toutes les filles publiques, les militaires et les marins », bref tous ceux susceptibles d'être contaminés par le tréponème, la bactérie responsable de la maladie. En 1851, une prostituée de 34 ans reçoit 57 inoculations. Son ventre est couvert de cicatrices et de quatre chancres suppurants qu'il faudra cicatriser. Dans sa fureur expérimentale, Auzias-Turenne sollicite l'autorisation de syphiliser toutes les prisonnières de la prison Saint-Lazare de la rue Saint-Denis. Mais cela lui est refusé (1853). Les médecins de l'époque n'expérimentent pas seulement sur leurs contemporains mais aussi sur eux-mêmes. L'auto-expérimentation était alors monnaie courante, par exemple un certain Lindmann s'inocule un grand nombre de chancres simples.

           Tous ces essais restèrent sans suite, même si les deux pasteuriens Roux et Metchnikoff, reprirent des essais de syphilisation sur le singe en 1879. Tout cela nous montre combien l'expérimentation vaccinale était aléatoire et souvent risquée pour les patients. On voit aussi qu'on n'obtient pas nécessairement un vaccin contre toute maladie infectieuse. Ainsi, depuis qu'on le cherche, on n'a toujours pas trouvé de vaccin contre le SIDA.


La préparation d'un vaccin

           Pourtant nombre de vaccins ont vu le jour qui ont permis l'éradication de nombreuse et graves maladies comme le tétanos, la polyomyélite, la variole.. La préparation du vaccin faisant souvent appel à l'obtention d'une forme atténuée du parasite, à des fragments de celui-ci ou à des toxines qu'il libère dans l'organisme comme c'est le cas pour l'anatoxine diphtérique mise initialement au point par Gaston Ramon.

           La préparation de certains vaccins était particulièrement laborieuse. Ce fut le cas du vaccin contre le typhus. Le typhus est une maladie grave. Elle est connue depuis l'antiquité, elle affecta particulièrement les armées en campagne pendant les guerres d'Italie ou la guerre de trente ans et ravagea la grande armée pendant la retraite de Russie. Trois chercheurs éclaircirent le mode d'action du parasite, une sorte de bactérie nommée Rickettsia prowazeki pour rappeler que Howard Ricketts et Stanislas von Prowazek avaient payé de leur vie leurs travaux sur ce parasite, Le troisième, Charles Nicolle, directeur de l'institut Pasteur de Tunis montra, en 1909, le rôle du pou dans la transmission du typhus. C'est un chercheur morave, Rudolf Weigl, qui proposa un vaccin préparé à partir de l'intestin de pou infecté.

           Les chinois qui s'intéressaient aussi à ce vaccin contre le typhus le préparait à Pékin de la manière suivante. On injectait à un cobaye le sang d'un malade du typhus. Après 15 jours, alors que le cobaye exprime les symptômes de la maladie, on l'anesthésie et on prélève un peu de matière cérébrale, laquelle est virulente au plus haut degré. Mais pour obtenir le vaccin utile à l'homme, il faut transmettre la maladie au pou. Aussi, à Pékin, on procéda à l'élevage des poux. Pour les nourrir on faisait appel à des mendiants. On plaçait sur leurs jambes de petites boites contenant les poux, boites dont un coté grillagé était maintenu contre la peau. Ces nourrisseurs de poux recevaient un salaire pour nourrir les parasites, ce qui les surprenait agréablement, eux qui avaient l'habitude de nourrir leurs poux gratuitement. Des petites mains chinoises s'emparaient alors des poux et injectaient grâce à une canule un peu de matière cérébrale contaminée dans leur tube digestif. Par dissection des poux, on prélevait l'intestin que l'on jetait dans l'eau phéniquée. Après broyage, la suspension, était clarifiée et chauffée à 70°; le vaccin chinois était prêt à être inoculé pour le plus grand bien des populations héritières du Céleste Empire.


En guise de conclusion

           Les vaccins modernes font appel à des préparations sophistiquées, des adjuvants renforcent leur pouvoir vaccinant et la préparation est étudiée pour donner le moins possible d'effets secondaires néfastes et le maximum d'efficacité. Dans le cas de la grippe banale les vaccins sont bien supportés mais doivent être renouvelés chaque année du fait de la mutabilité facile des virus à ARN. Pour la "nouvelle grippe" liée au covid 19, plusieurs vaccins seront proposés, certains issus tout droit de la biologie moléculaire font intervenir un ARN messager. Souhaitons bonne chance à ces nouveaux vaccins qui ne sont pas encore entrés dans l'histoire....

J.R - 2021

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