Isis

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Une étrange affaire au Metropolitan Muséum

par Maryse Roussaux

           La nuit avait été glaciale et ce dimanche matin Central Park s’était réveillé sous la neige. Seuls quelques new-yorkais inconditionnels du jogging s’étaient aventurés dans les allées. Mais pas de rollers. Vers dix heures alors que la patinoire battait déjà son plein, les premiers touristes arrivèrent. Frigorifiés ils se précipitaient vers les calèches où enfouis sous d’épaisses couvertures ils s’offraient le plaisir d’une balade à travers le parc.
           Isis s’était levée tard.  Après avoir pris un copieux petit déjeuner elle avait quitté son hôtel et s’était dirigée vers Central Park. C’était la première fois qu’elle venait à New York. Un congrès lui en avait enfin donné l’occasion. Jusque-là, la jeune femme n’avait guère quitté Raleigh en Caroline du Nord où elle occupait un poste d’ingénieur dans un laboratoire de biotechnologie. Après trois jours de conférences, de séminaires et de rencontres ininterrompus, Isis aspirait à un peu de calme. Elle n’avait rien vu de la ville et il ne lui restait que quelques heures avant de prendre l’avion. Que faire en si peu de temps ? Les rues battues par le vent et les allées du parc, pour certaines verglacées, n’incitaient guère à flâner. Pourquoi pas le MET ? Tous ses amis lui avaient dit : « tu ne peux pas aller à New York sans visiter le MET ! ».
           Le Metropolitan Muséum ! Un nombre impressionnant de collections ! Comment choisir ? Assise dans le vaste hall d’entrée où il régnait une douce chaleur, Isis consulta le dépliant qu’on lui avait remis avec son ticket. Il faudrait des jours pour tout voir ! Alors Isis ferma les yeux et de son doigt pointa au hasard l’une des pages. Le sort en est jeté elle visitera les antiquités égyptiennes.

 

           Dans la galerie des antiquités, Anubis avait sa tête des mauvais jours, une tête de chien-loup hargneux. Tout cela parce qu’il avait peu dormi à cause d’une bouche d’aération mal réglée qui, toute la nuit, lui avait soufflé de l’air froid  dans le dos. De quoi attraper un lombago ! Et ce n’était pas le moment alors qu’il devait se rendre à Assiout pour accueillir l’âme d’un haut dignitaire égyptien décédé dans la nuit. C’était Thot, le dieu des scribes, qui l’avait prévenu par SMS. Au dernier moment comme d’habitude. Comme s’il ne savait pas que quitter le musée sans attirer l’attention des gardiens dépendait du bon vouloir  de son hologramme, Anubis bis, qui depuis quelque temps rechignait à le remplacer au pied levé, même pour un court voyage.
            Avant de partir, Anubis avait pris soin de consulter la reine Hatshepsout qui trônait à l’entrée de la galerie. Malgré son âge, la souveraine n’avait pas pris une ride. Ici, tous la respectaient. Elle était leur conseillère, leur confidente.
           -  Reine, Thot me réclame. Pendant mon absence, pouvez-vous veiller sur Anubis bis. Il            accepte de moins en moins bien sa virtualité et je crains fort que s’il devient incontrôlable, il ne            faille l’obliger à consulter un psy dès mon retour.
           -  Pars tranquille Anubis. Je lui parlerai et si besoin je demanderai à Sekhmet de lui jeter un sort            afin qu’il conserve ses trois dimensions le temps nécessaire.
            -  Hélas ! Son immatérialité  est déjà un sortilège ! Seule votre autorité peut avoir raison de            ses délires, au moins jusqu’à mon retour.

 

           Dès qu’Isis pénétra dans la salle des antiquités, elle fut prise d’un éblouissement. Que faisait-elle au cœur du désert égyptien ?  Et ce temple ? Serait-ce celui de Dendérah ? Son esprit s’égarait. Elle était ici à New York au Metropolitan Muséum mais aussi sur les bords du Nil. Et cette femme, vêtue d’une robe en lin blanc rehaussée de broderies jaunes et parée de bijoux en or sertis de pierres précieuses, qui s’approchait d’elle qui était-elle? Et pourquoi ce silence ? Où étaient les visiteurs ? Et les gardiens ? A l’entrée du temple, deux sentinelles noires armées d’une lance surveillaient immobiles des hommes vêtus d’un simple pagne qui s’activaient à réparer la chaussée avec des briques que d’autres déversaient à leurs pieds.
           Maintenant la femme à la robe en lin blanc lui parlait :

  1.            - Isis pourquoi n’as-tu pas revêtu ta tunique pourpre ? Et qu’as-tu fait de ta coiffe ? Les temps            ont donc si changé pour que tu ne respectes plus les coutumes de nos ancêtres ?
  2.            - Quelle tunique et quelle coiffe ? Il fait froid dehors et mon anorak suffit à peine à me protéger.
  3.            Isis ! Comment peux-tu avoir froid ? As-tu oublié Ra et ses rayons qui nous réchauffent ?

           Soudain une voix s’interposa :

  1.            - Hathor quand cesseras-tu d’être jalouse ? Tu n’y peux rien si Isis a toujours été la            préférée d’Amon et qu’il lui a donné tous les pouvoirs. Même celui de te métamorphoser en une            vache, n’oublie pas !
  2.            - Toi l’hologramme ne te mêle pas de ça. Contente-toi de jouer les utilités.

           Alors la femme qu’ Isis avait vu assise à l’entrée de la galerie et qui portait le nom d’ Hatshepsout intervint à son tour :

  1.            - Allons cessez de vous chamailler.  Hathor, les prêtres t’attendent pour officier et commémorer            ton mariage avec Horus, fils d’Isis.
  2.            - Devrais-je pour cela en être reconnaissante à ma belle-mère ?
  3.            - Oui Hathor tu devrais.

           Et la souveraine dédaignant Hathor, s’adressa à Isis :

  1.            - Que viens-tu faire ici en cette tenue si insolite ?
  2.            - Je suis juste venue visiter cette galerie et je n’ai rien de commun avec la déesse Isis.
  3.            - Ne crois pas cela. Tu es l’un de ses avatars. Seulement tu n’en sais rien. Seuls les dieux et            ceux qui les honorent le savent.

           A ce moment-là le téléphone portable d’Hatshepsout sonna. C’était  Anubis qui annonçait son retour.

  1.            - Anubis ! Déjà !
  2.            - Oui dit Anubis. L’âme du défunt était si légère qu’Osiris a renoncé à la peser et il lui a ouvert les portes de l’éternité sans la confesser.

         En entendant Hatshepsout Anubis bis comprit que son calvaire allait prendre fin. Car il n’en pouvait plus de n’être qu’un faisceau de particules, un volume sans réalité propre. Projection chimérique, illusion pour visiteurs crédules. Quelle tromperie !
         Isis se sentit perdue. Elle regrettait de ne pas avoir déposé son anorak au vestiaire car maintenant elle étouffait et c’était à peine si elle supportait le contact du sable brûlant dans lequel ses pieds s’enfonçaient à chaque pas davantage. Hatshepsout, toujours au téléphone, conversait dans une langue qu’Isis ne comprenait pas et pourtant quand celle-ci lui avait adressé la parole, elle n’avait éprouvé aucune difficulté à lui répondre.
         Soudain une forte odeur d’encens se répandit dans l’atmosphère et Hathor suivie des prêtres apparut à l’entrée du temple. Puis majestueuse elle en descendit les marches et se dirigea vers Isis. Elle s’inclina devant elle et, comme si elle cherchait à comprendre sa présence  en ces lieux, elle la conduisit devant une vitrine où étaient exposés des bijoux. « Chère Isis, que choisis-tu comme parure ? Regarde ces émeraudes, te souviens-tu du collier que tu portais le jour de mon mariage avec ton fils ? Que ne l’ai-je envié ! Mais Horus n’a jamais été capable de m’en offrir un aussi beau». Interloquée, Isis resta coite. Alors furieuse Hathor se tourna vers les sentinelles et leur donna l’ordre de s’emparer d’Isis. Mais c’était sans compter avec Anubis bis qui, ayant  assisté à toute la scène, trouvait enfin là une occasion de se venger d’Hathor qu’il détestait. Et quand les gardes s’élancèrent pour se saisir de la jeune femme ils n’étreignirent que du vent. 

 

           De toute la matinée, les caméras de surveillance n’enregistrèrent rien d’anormal  dans la galerie des antiquités égyptiennes. Les quelques visiteurs qui s’y rendirent s’intéressèrent surtout aux sarcophages polychromes et au tombeau de Perneb. L’après-midi fut aussi calme. Dans la soirée, le gardien chargé de faire un dernier contrôle avant d’éteindre les lumières, s’étonna de trouver, posés en tas près d’une vitrine, des vêtements de femme dont un anorak rouge. En les ramassant du sable s’en échappa. Alertée la direction du Metropolitan Muséum avertit la police. Une enquête fut ouverte. Mais à part le ticket d’entrée et le badge du MET qui était délivré avec, on ne trouva rien permettant d’identifier la visiteuse. Seul indice, l’heure d’arrivée indiquée sur le billet. On visionna les enregistrements qui correspondaient. Et curieusement si l’on voyait nettement l’employé qui était à la caisse à ce moment-là, la caméra n’avait rien filmé de la personne qui se trouvait face à lui. 

 

           La veille au soir, la tempête de neige qui s’était abattue sur la Caroline du Nord avait paralysé toute la région. On ne comptait plus les arbres abattus, les carambolages de voitures, les pylônes couchés en travers des routes qui les rendaient impraticables. De nombreuses maisons étaient privées d’électricité et le seul recours pour se chauffer et s’éclairer était la cheminée et la lampe à pétrole.
           Isis avait allumé un feu puis s’était blottie au fond de son fauteuil préféré, hypnotisée par les flammes qui après avoir caressé les rondins comme pour les amadouer, s’élevaient de plus en plus haut au fur et à mesure qu’ils brûlaient. Isis avait fini par s’endormir malgré le bruit sec accompagnant les flammèches qui venaient régulièrement cogner contre la grille du garde-feu.
           Le lendemain matin Isis s’éveilla devant un feu éteint. Elle avait froid et un fort mal de tête. Peu à peu des bribes du rêve qu’elle avait fait durant la nuit lui revenaient en mémoire. Un rêve extraordinaire. Elle était à New York. A Manhattan. A Central Park. Au MET. Elle qui n’avait jamais quitté la Caroline ! A coup sûr c’était ce reportage sur les pharaons qu’elle avait vu à la télévision quelques jours plu tôt qui l’avait projetée le temps d’un rêve dans l’univers de l’Egypte antique.
           Mais était-ce bien un rêve ? Car soudain elle n’eut plus froid et ce qui l’entourait lui parut de plus en plus irréel. Les murs du salon d’abord translucides se dissolvaient en une brume de chaleur qui s’élevait par vagues ondulantes au-dessus du sol métamorphosé en une  vaste étendue de sable. Maintenant la pièce était vide comme si Isis n’y avait jamais vécu.

 

           Ce matin-là, Au Metropolitan Muséum quelle ne fut pas la stupeur du gardien chargé de l’ouverture de la galerie quand il découvrit, entre la statue d’Anubis et celle d’Hathor, une Isis de marbre blanc.