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DE LA BANLIEUE
ROUGE
AU GRAND PARIS























































































































































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DE LA BANLIEUE ROUGE AU GRAND PARIS - D'Ivry à Clichy et de Saint-Ouen à Charenton -
Alain Rustenholtz - Editions. La Fabrique.

par Odile Loeuillet

Selon le dictionnaire, la banlieue est un terme d'origine féodale, désignant l'espace autour d'une ville et soumis à la loi de cette dernière. L'emploi de « banlieue parisienne est plus récent, et a remplacé, vers 1925, le terme « faubourg ». Au début des années 1840, Paris est entouré de « fortifications », avec une quinzaine de forts autour de la ville. Le Second Empire étend la capitale, envoyant usines et ouvriers de l'autre côté des forts, La 3ème République installe les grands cimetières parisiens, l'assainissement des égouts, et les incinérateurs d'ordures ménagères, puis le traitement des eaux, les usines à gaz, les centrales électriques, les grands hôpitaux, entre les fortifs et la ligne des forts. En 1930, la capitale annexe la surface de servitude militaire (environ 250 mètres), inconstructible, au pied des fortifications ; c'est ce qu'on appellera la zone. Dans la première moitié du 20ème siècle, on associe la banlieue aux usines, comme en témoigne le développement de banlieues telles que Puteaux, Suresnes, Boulogne Billancourt, à l'Ouest de Paris, ou encore Charenton, vers le Sud-Est de la ville. Les usines, ce sont l'automobile, avec Renault à Boulogne Billancourt, SAVIEM à Suresnes, De Dion -Bouton et UNIC à Puteaux. Mais aussi l'aéronautique, l'imprimerie, la blanchisserie, etc.usines qui vont se mettre en grève en 1936, grève qui reprendra à peu près dans les mêmes lieux en 1968. C'est l'époque des banlieues rouges, marquées par une immigration arménienne, russe blanche, portugaise, espagnole, puis, vers 1961, par l'arrivée d'algériens de marocains, de tunisiens, et, plus tard, de noirs africains venant du Mali ou du Sénégal. C'est à cette période que la 5ème République replie le département de la Seine sur Paris, et fait 3 nouveaux départements : les Hauts de Seine, la Seine et Oise, et le Val de Marne. Cinquante ans plus tard, une métropole du Grand Paris peine toujours à se concrétiser. C'est ce que l'on va voir avec quelques exemples.

Tout d'abord : Puteaux

Puteaux, séparée de Paris par la Seine, y est reliée dès le 18ème siècle, par un pont de pierre, le pont de Neuilly. On y cultive la rose et le raisin, mais bientôt Puteaux emploie aussi plus de 2000 personnes dans les teintureries. Benoit Malon, ouvrier teinturier va ouvrir la première coopérative de France : la Revendication. Bientôt, la métallurgie remplace le textile, avec UNIC, l'Arsenal, l'usine de Dion Bouton, et bien d'autres. C'est à Puteaux que l'automobile entre en littérature dans les écrits d'Octave Mirbeau. En même temps, à Puteaux, dans l'atelier de Gaston Duchamp (alias Jacques Villon), des artistes élaborent le cubisme scientifique de la « section d'or ».

A la veille de la Grande Guerre, Puteaux compte 31 entreprises, avec chacune, plus de 200 ouvriers, et elle est la première commune de France à se doter d'un HBM municipal. Aux élections municipales de 1912, est l'une des 7 villes de la banlieue parisienne enlevée par la SFIO et elle est socialiste à tous les niveaux électifs. Elle le restera presque toujours, à l'exception de 2 intermèdes communistes : 1928-32, 1945-47, jusqu'à l'élection de Charles Ceccaldi-Raynaud. Dès la fin du 19ème siècle, et tout au long du 20ème siècle, Puteaux est secouée par des manifestations : la commune en 1871, par des grèves : grèves en 1925, suivies de la fête socialiste de la victoire, ainsi qu'en 1936, par des évènements tragiques : 1940 : la loi sur la déchéance des élus communistes est adoptée, certains élus communistes seront guillotinés. Le maire, George Barthélémy, rapporteur de la loi, est alors assassiné sur le chemin de la mairie. En octobre 1961, un attentat est perpétré contre la mairie après le Putsch des Généraux. Le 17 octobre 1961, une manifestation du FLN contre le couvre-feu imposé par le préfet Maurice Papon se termine tragiquement. En 1967 une campagne municipale violente entraine la mort d'un colleur d'affiche.

Cependant, là où, en 1883, avait été érigé au rond-point de la butte Chantecoq, un groupe sculpté glorifiant la défense de Paris face aux Prussiens, qui a donné son nom à la place et à l'avenue : La Défense , l'Etat projette , dès le début des années 50, à travers l'EPAD (Etablissement public pour l'aménagement de la Défense), la construction d'un quartier d'affaires de 760 hectares sur les communes de Puteaux , Nanterre et Courbevoie, qui s'élèvera en lieu et place de pavillons modestes, d'usines , et des bidonvilles algériens qui ont succédé à ceux des chiffonniers des années 20 .

En 2000, Puteaux accueillait déjà, par le biais de la Défense,1 207 000 m2 de bureaux, soit plus que Levallois-Perret, et Issy les Moulineaux, et même que Boulogne -Billancourt qui compte 2 fois plus d'habitants. Au Rond-point des Bergères, là où Puteaux se confond avec Nanterre, la ZAC (zone d'aménagement concerté) des Bergères offre un parc de 2 hectares, 1 180 logements, des commerces, des équipements. Entre la gare et le quai, la ZAC du théâtre constitue un lieu d'élection pour les cadres. Elle se confond, pour l'essentiel, avec La Résidence Place du Théâtre, de Vinci Immobilier : 9 maisons de ville, et 42 appartements. Depuis 1984 la Grande Arche de la Tête Défense, dupliquant l'Arc de Triomphe de la place de l'Etoile, est l'horizon de l'axe historique partant du Louvre. La banlieue devient donc la prolongation de l'axe historique : le Grand Paris ?

Poursuivons maintenant notre flânerie vers Suresnes, Suresnes qui relie le Bois de Boulogne au Mont Valérien.

Située au pied du Mémorial du Mont Valérien, la gare de Suresnes Longchamp ouvre en 1889 sur la ligne reliant Paris St Lazare au Champs de Mars, et dessert l'hippodrome du Bois de Boulogne, de l'autre côté du Pont de Suresnes, qui marque, sur la Seine, la tête de ligne aval des bateaux à vapeur, dont l'autre terminus se trouve à Charenton. Sur le côteau, des vignes, et au sommet du Mont Valérien, le Fort commandant la route de Versailles, que les communards négligèrent de prendre en 1871, qui les décima 3 jours plus tard, et où 4500 résistants seront fusillés durant l'occupation.

A la Belle époque, au pied de Suresnes, on apercevait un alignement de cheminées d'usines : teintureries Meunier, Constructeurs automobiles, parfumeries (dont Coty), puis après la guerre de 1914-18, les ateliers aéronautiques Louis Blériot, etc... Dès 1910, Henri Sellier, socialiste, est élu conseiller général de Puteaux. Au sortir de la Grande Guerre, il est élu maire de Suresnes et conseiller général. De la guerre de 1870 à la guerre de 1914-18, la population de Suresnes est passée de 4 200 à 19 000 habitants. Henri Sellier a été le fondateur de l'office HBM de la Seine. Industrielle, Suresnes construit une Cité- jardin sur l'espace de 42 hectares de la ferme de Fouilleuse qu'elle achète, cité dans laquelle un espace spécifique est réservé pour les familles nombreuses qui révèlent une éducation sociale douteuse., sorte d'instrument de moralisation du prolétariat.

Le 10 juillet 1936, André Morizet, maire de Boulogne- Billancourt, et Henri Sellier, remettent au Président du Conseil, Léon Blum, un projet de réforme administrative du Grand Paris : faire des 20 arrondissements de Paris et des 80 villes de sa banlieue (= le département de la Seine) une seule commune disposant des prérogatives de droit commun. Cette proposition n'aura aucune suite. Le 26 juillet 1936 voit une manifestation de plus de 2 500 personnes venues de Rueil, Chatou, Puteaux, Courbevoie, la Garenne, qui se réunissent à l'intérieur de la Cité- jardin, avec à la tribune, plusieurs ministre socialistes, communistes, radicaux. Le centre de loisirs Albert Thomas, qui fait partie de la Cité-jardin, est inauguré le 27 mars 1938.

En 1940, Henri Sellier, sénateur, ne prend pas part au vote de déchéance des députés communistes, ni à celui qui donne les pleins pouvoirs à Pétain. Il est radié de son mandat par Vichy.

En 1951, Jean Villar installe son théâtre dans le Centre de loisirs de la Cité-Jardin de Suresnes. On trouve, alors, tout le long du quai, un chapelet d'entreprises : Sud aviation, l'Aérospatiale, la SNECMA, la SAVIEM, LATIC, Renault, SIMCA. Lors du 27ème salon du Bourget, fin 1967, est présentée la maquette du Concorde, dont Suresnes a piloté la réalisation, alors que les syndicats alertent sur les menaces pesant sur l'emploi dans l'aéronautique. Le mercredi 31 janvier 1968, une délégation de l'usine de Blainville cherche à se faire entendre de la SAVIEM, et, en avril 1968, le site de Sud Aviation à Bouguenais, cherche à faire émerger un front intersyndical. Ainsi le mai 68 social aura commencé à Caen Blainville, et à Nantes Bouguenais, dans des entreprises dont Suresnes abrite les têtes. Du 15 mai au 20 juin l'occupation des usines s'étendra de Sud Aviation à SNECMA, puis à SAVIEM, tandis que chez UNIC la direction impose un lock out. Dans le théâtre de Suresnes, se poursuivent du 25 mai au 5 juin, les Etats généraux du cinéma français. Des assemblées générales adoptent les « 6 points de Suresnes », dont le dernier réclame « l'union étroite du cinéma avec la télévision autogérée, indépendante du pouvoir et de l'argent ».

Dans les années 1970, l'urbanisme de dalle s'impose à Suresnes : usines et laboratoires sont déplacés plus à l'ouest. A Suresnes l'effet « ceinture ouvrière » menaçant Paris était frappant, avec l'alignement spectaculaire des cheminées le long des quais de la Seine. Il n'en reste maintenant qu'une, repeint de grappes et de pampres. Mais les entreprises sont restées, relookées en bureaux aux vitres de verre fumé. Le maire qui, en 1983, a mis fin à la longue histoire socialiste de la ville, disait : « j'ai un grand groupe : le PDG et le salarié le moins payé habitent tous deux la commune ». Le nombre de logements sociaux est important à Suresnes, mais représente surtout un héritage du passé. Pour la partie haute de l'éventail des salaires, la ville a comme argument le côteau avec vue, l'absence de cheminées d'usines et le fait que, quoique située dans la petite couronne, elle soit cependant, épargnée par l'autoroute et le périphérique.

Le même phénomène de gentrification peut s'observer dans d'autres banlieues de la première couronne, comme Boulogne Billancourt où le site industriel de l'Ile Seguin a fait place à un « écoquartier » et où la surface de bureaux dépasse le million de m2, cependant que la rue Galliéni sépare toujours un Boulogne aux 5 500 foyers assujettis à l'ISF d'un Boulogne Billancourt où se trouvent, en nombre quasi identique, des logements sociaux. Mais aucune de ces deux zones n'est épargnée par une très forte circulation automobile.

Charenton, autre ville de la première couronne, autrefois spécialisée dans le négoce des vins, et située à l'autre extrémité de la ligne des bateaux à vapeur « Suresnes-Charenton », présente aussi ce contraste entre une zone résidentielle, du côté du Bois de Vincennes, et la zone située au Nord, de l'autre côté de la ligne de chemin de fer. A Charenton aussi, l'offre de bureaux a été multipliée par 5, le nombre d'emplois a augmenté de moitié, et la population de 21,5% pour passer à 25 562 habitants. Les entrepôts ont fait place au centre commercial de Bercy 2 dû à Renzo Piano et à un quartier neuf. Un projet Bercy-Charenton est en gésine depuis 2009., entre la capitale et la commune, qui ouvrira une nouvelle liaison avec le 12ème arrondissement.

Ce compte-rendu n'est qu'un petit aperçu de toutes les informations passionnantes sur 25 communes de la première couronne parisienne, d'Ivry à Clichy, et de St Ouen à Charenton, que vous pourrez découvrir dans ce livre, qui est à votre disposition dans la bibliothèque de la SHALP.



O.L 05/2025