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Quartier Bergères-Moulin,
           le 10 de la rue des Fusillés de la Résistance



Témoignage de Marie-France Verdin


Recueilli par Jean-François Martre - septembre 2021.


           C'est l'histoire de deux familles, les Bricout-Pruvot et les Verdin-Lehuraux qui sont arrivées à Puteaux dans les années 1870/80 et d'une maison habitée pendant cent ans, jusqu'en 1982 par les quatre générations d'une même famille : le 10 de la rue des Fusillés de la Résistance. Une des dernières maisons qui survit encore au milieu du nouveau quartier du Rond-Point des Bergères.

Tout commence par une recherche généalogique faite par Marie-France Verdin, la descendante de cette famille, à travers les sources habituelles : état-civil, cadastre, recensement, registres paroissiaux, notaires. la plupart disponibles en ligne.

La maison du 10, c'est celle qui est à droite sur cette carte postale de 1906, avec un bord de toit festonné. Construite au début des années 1880, elle est comme neuve, en face de la rue Pasteur à gauche de la carte postale. Au bout de la rue des Fusillés, le Mont Valérien.


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Archives Municipales de Puteaux


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La maison du 10 de la rue des Fusillés de la Résistance, en 2021 a perdu ses jolis festons, mais on reconnaît au 16 le petit immeuble de deux étages, et il y a toujours un poteau électrique devant le portail et les mêmes grilles.


Pour faire de la généalogie, il est indispensable de connaître les noms successifs d'une rue : Le chemin du Mont Valérien s'appellera rue Charles X, rue des Fusillés, rue des Fusillés de la Résistance


Il y a 150 ans, en 1871, Xavier Bricout, l'arrière-grand-père de Marie-France, arrive avec ses deux sours et ses parents, François Bricout et Flavie Paringaux, tisseurs tous les deux, à Puteaux au 40 rue de la Croix, qui s'appellera rue du Marché et aujourd'hui rue Marius Jacotot. Une des sours, Clothilde habitera plus tard avec son époux au 8 rue des Fusillés, elle y tiendra une boutique (marchand de vin) et y décèdera en 1926. François Bricout, décédé en 1896 au 33 rue des Pavillons et Flavie Paringaux devenue veuve déménage au 8 rue des Fusillés où elle décède en 1909.

Les Bricout/Parigaux viennent de Caudry, ville du Cambraisis, capitale du tissage au XIXe, cité de la dentelle. Les Allemands entrent dans Caudry en 1871 et les familles fuient à leur arrivée. Ils travaillaient tous dans les grandes filatures caudraisiennes, les hommes mulquiniers et les femmes fileuses de tulles :
Tissage de toiles fines de lin très développé dans les villages sous forme d'industrie rurale.

On est au lendemain des évènements dramatiques et douloureux de la guerre et de la Commune quand Xavier se marie à Puteaux une première fois en 1873. Parmi les témoins du mariage, Jean Laffond est imprimeur sur étoffes. Xavier est journalier, il a 21 ans et son épouse, Adèle Delange n'en a que 17. Cette dernière habite avec sa mère, veuve et cuisinière, en face, au 37 de la rue de la Croix. Actuellement la villa qui existe au n°37 s'appelle la villa de l'Orme et une plaque indique qu'elle date de 1852.

Séparé d'Adèle Delange, Xavier connaitra l'arrière-grand-mère de Marie-France, Flore Pruvot huit ans plus tard et terminera sa vie en 1916 avec cette dernière et leur fille Françoise dans le haut Puteaux, rue Charles X (actuellement rue des Fusillés de la Résistance), d'abord au 8 puis au 10. Flore habitera cette maison jusqu'à son décès en 1935.
De leur côté, les Pruvot étaient de Berty, autre village de tissage. L'arrière-arrière- grand-père de Marie-France, Pierre Joseph Pruvot, tisseur, veuf, arrive à Puteaux en 1879/1880, avec ses deux filles, Flore et Geneviève.

Il semble que Xavier et Flore n'aient pas travaillé chez des teinturiers ni des imprimeurs d'étoffe qui étaient nombreux à Puteaux à l'époque. Xavier apparaît comme journalier puis chauffeur dans plusieurs actes et Flore gardait des enfants. À l'époque des enfants étaient logés chez elle et ils apparaissent dans les recensements.

La maison du 10 rue des Fusillés

C'est une rue que Marie-France Verdin connaît bien. Elle est née en 1952 et a habité avec ses parents rue Auguste Blanche avant de déménager trois ans plus tard au numéro 10 de la rue des Fusillés après le départ en retraite de sa grand-mère Françoise en Eure et Loir. Ses parents n'ont définitivement quitté cette maison qu'en 1982.
Les maisons du 8, 10 et 10 bis de la rue des Fusillés ont été construites par son arrière-grand-père Xavier Bricout probablement avec l'aide du père de ce dernier François, dans le début des années 1880, mais à sa naissance, le 8 et le 10bis étaient déjà vendus. Aujourd'hui, elles font partie des dernières maisons de cette époque existant encore au milieu des immeubles neufs du rond-Point des Bergères.

Parlons maintenant des arrière-grands-parents Verdin/ Lehuraux.
Les Verdin viennent de Hézecques (Pas-de-Calais) d'une famille de cultivateurs. Ils sont arrivés en région parisienne dans la première moitié du XIXe siècle en passant par Nanterre. Marie Lehuraux est, elle, originaire de la Meuse. La vie y est très rude. Des six enfants de ses parents, quatre décèdent en bas âge. Avec sa famille, elle subit la guerre de 1870, l'invasion et la destruction de la Lorraine par les Allemands, puis la transportation de son père en Nouvelle-Calédonie en 1882, condamné à 10 ans de travaux forcés pour « vol répété de blé, d'avoine, de vin et d'assiettes ». Il fallait bien nourrir sa famille. Elle part alors avec sa mère et sa sour Justine pour la région parisienne, où une partie de la famille vit déjà, en espérant une vie meilleure. Elle rencontre Alexandre Verdin qu'elle épouse en 1885 à Puteaux. Ils habitent par la suite le 3 Rue/avenue Perronet puis au 8 de la rue de Saint-Germain où nait Louis Verdin en 1888.

La deuxième génération qui habite au 10 de la rue des Fusillés, ce sont donc les grands-parents de Marie-France.
Sa grand-mère Françoise Pruvot y est née en 1895, elle est journalière, dentelière, et elle épouse son grand-père Louis Verdin le 22 mars 1913. Louis Verdin était serrurier-perceur et travaillait à l'usine du Moulin Noir à Nanterre , ancienne usine d'aluminium reconvertie en Cie Française de charbon pour l'électricité. Voir à ce sujet le document de la SHNanterre.
"http://histoire-nanterre.org/wp-content/uploads/2013/07/NI_SHN_237.pdf"

En 1914, un an après son mariage et son emménagement au 10 rue des Fusillés, il part pour la grande guerre, laissant sa femme avec une petite fille.
Après avoir subi les gaz asphyxiants à Verdun qui vont faire d'énormes dégâts (il en mourra en 1937 à l'âge de 48 ans), il rejoint le 58e d'infanterie avec l'armée d'Orient en 1917 et participe à la bataille de Salonique et à la guerre des Balkans où il sera décoré.

Marie-France a bien connu sa grand-mère Françoise Pruvot puisque cette dernière est morte en 1968 après s'être remariée en 1938 avec Simon Plessis, conducteur au métropolitain, veuf avec deux enfants dont elle s'est occupée en plus des deux siens.

La troisième génération qui habite au 10, ce sont les parents de Marie-France. Son père Louis Verdin y est né en 1922, quatre ans après la guerre.


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Louis Verdin en 1934 devant la Mairie toute neuve et les premiers bassins, le jour de l'inauguration.


Il se marie en 1944 à Puteaux avec Lucienne Cousin. Toute sa carrière professionnelle se déroule chez Jaz (réveils, pendules, montres) à Puteaux où il entre en 1935 comme « arpète » (coursier), puis passe à la comptabilité. Pendant la guerre, il est envoyé brièvement au STO en Allemagne. Mais les Allemands le renvoient chez lui très rapidement et il reprend son travail chez Jaz. En 1964, le siège de Jaz déménage à Paris rue la Boétie où il termine sa carrière comme caissier comptable.


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Sur cette carte de 1927, Jaz s'appelle encore Compagnie Industrielle de Mécanique Horlogère (la CIMH), c'est une immense usine de 2500m2 qui comptera plus de 300 salariés dans les années 1930, située tout près du rond-point de la Défense.


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L'emplacement avec la date 1956 correspond à celui du futur CNIT.
La flèche pointe sur l'usine historique Jaz qui ne sera détruite qu'en 1964. Aujourd'hui, les voies de circulation sous les terrasses Boieldieu s'appellent voies de l'Horlogerie en souvenir de cette usine Jaz.



La quatrième génération qui habite au 10, c'est Marie-France qui y est arrivée en 1955, une fois la maison libérée par les grands-parents et les enfants Plessis mariés.
Ce sera la dernière car ses parents vendent la maison en 1982 et quittent Puteaux pour prendre leurs retraites en Normandie.


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A côté, le numéro 8 accolé d'un restaurant fait le coin avec la rue Pierre Curie.


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Le 10bis de la rue des Fusillés de la Résistance, au fond les nouveaux immeubles vers le rond-point des Bergères.


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Et ensuite au 18, l'ancien restaurant du petit copain, aujourd'hui un restaurant portugais.


1955-1973 - Le quartier

Pour Marie-France, le quartier, c'est celui du Rond-Point des Bergères et de l'avenue Wilson, aujourd'hui avenue Charles de Gaulle qui menait jusqu'au Rond-Point de la Défense.
Le confort de la maison dans les années 50/60 n'y avait pas été beaucoup amélioré depuis l'origine, et le charbon était toujours stocké dans l'appentis sous l'escalier extérieur.

Pour une petite fille, la rue des Fusillés n'était pas très vivante car il y avait peu d'enfants, sauf le fils du cafetier situé au 18, les Giroguy, et qui avait son âge.
Heureusement, il y avait encore beaucoup de petits magasins qui ont disparu dans les années 1980.

Au 8 il y avait un fleuriste.
Au 4 ou 6 il y avait une grosse agence immobilière qui s'est occupée de la vente de la maison du 10 en 1982.
L'épicerie Larnier tenait le coin avec la rue des Bas-Roger. On y allait faire les courses et comme il était situé en plein angle des 2 rues, les voitures qui descendaient trop vite du Mont Valérien et grillaient le feu rouge, la plupart du temps la nuit, finissaient dans sa devanture, qui a dû être refaite au moins 2 ou 3 fois !!
A côté il y avait une boucherie et un marchand de journaux et plus tard, dans les années 1968/1970, une auto-école.


Les années 1960
- souvenirs scolaires
En maternelle, Charles Lorrilleux, l'école en brique rouge, ma classe était la classe carrée, d'où on a une vue imprenable sur le quartier.
La primaire... école des Bouvets, rue Félix Pyat qui a été l'école de mon père, et j'ai fait ma communion à l'ancienne église N D du perpétuel secours.
Ci-dessous, des cartes postales montrant ces établissements dont les façades bordaient l'avenue du Président Wilson.
L'ancienne église Notre Dame de Perpétuel Secours faisait partie de l'établissement de la congrégation des sours de l'Assomption datant de 1865 et détruit après leur départ en 1975


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L'école des Bouvets (Archives Municipales de Puteaux)


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L'église Notre Dame de Perpétuel Secours (Archives Municipales de Puteaux )


Le collège ensuite (1962) rue de la République tout en bas, c'était un ancien couvent avec des bâtiments séparés par plusieurs cours : une pour les garçons et une pour les filles. Depuis, il a été détruit pour faire place à un collège moderne. En 4ème ou 3ème, donc vers 1965 ou 66, on demandait aux parents de faire apporter par leurs enfants des denrées pour les Putéoliens nécessiteux : boites de sardines , chocolat, sucre... On faisait des petits colis et les élèves 2 par 2 allaient arpenter les rues du "vieux Puteaux" (Rousselle, Oasis, Roque de Fillol ...) avec une liste d'adresses et de noms chez qui on devait apporter les colis. Avec ma copine de classe, Hélène Camus, on entrait dans des couloirs obscurs, on prenait des escaliers mal éclairés, et on allait frapper aux portes aux noms qu'on nous avait indiqués. Les gens, souvent très seuls, étaient ravis de nous voir, ça nous choquait de voir toute cette misère, et je me souviens d'une vieille dame qui voulait nous donner quelques sous en remerciement, qu'elle gardait dans une petite boite en fer. Évidemment nous avons refusé, mais ça nous avait marquées. En y repensant, c'est à peine imaginable à l'heure actuelle, de laisser des filles de 12 à 14 ans seules dans ces endroits... La construction de La Défense a vraiment fait sortir Puteaux de la misère, surtout le bas de la ville avec ces immeubles sans chauffage, sans commodités, sans confort, sans lumière etc...

Parmi les souvenirs des années 1960 qui ont marqué son enfance :

- La fête à Neuneu qui se déroulait à l'époque tout le long de l'avenue du Président Wilson du rond-point des Bergères jusqu'à la Défense avec son immense statue de « La Défense ». Marie-France sur un manège en 1962


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En 1949 et pendant une courte période au début des années 1950, une fête foraine appelée aussi Fête à Neu-Neu par les locaux, s'est tenue à partir de la place de La Défense à Puteaux, et sur le bas- côté de l'avenue de la Défense, du côté Courbevoie, jusqu'au pont de Neuilly Une photographie aérienne de l'IGN prise à l'été 1949 en témoigne (Wikipédia).


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- Au mois d'octobre se déroulait le « prix de l'amitié » , une course cycliste que son père l'emmenait voir ; Le moment le plus attrayant était la distribution de chapeaux en papier et de drapeaux lors du passage de la caravane.

Bulletin Municipal d'octobre 1962

https://www.puteaux.fr/var/plain_site/storage/kiosque/pi/PI_1962-10.pdf

Ce prix de l'amitié attire plus de 70.000 personnes et la tradition était que tous les champions du Tour de France y participent, comme ici en 1962 Jean Stablinski et Wolfschol.


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En 1963, Anquetil, Poulidor et Darrigade sont aussi présents, et c'est Ray Sugar Robinson qui donne le départ.


Cette manifestation populaire d'intérêt national a eu lieu à Puteaux pendant une dizaine d'année.

- L'endroit le plus vivant de la Ville était la rue Jean-Jaurès dans le bas Puteaux avec ses magasins, en particulier le « Printania » . C'était le seul grand magasin de Puteaux à l'époque, un vrai trésor surtout à Noël. Elle adorait y aller avec sa mère.

Le Printania faisait partie du groupe « Le Printemps » et deviendra « Prisunic ».
L'actuel « Monoprix » n'en occupe qu'une partie comme on le voit sur cette carte postale ; les vitrines allaient alors jusqu'à la rue Collin.



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Publicité dans le Bulletin municipal du 15 mars 1962


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Photo de Benoit-Perrissat avec le père Noël au Printania en 1961 ou 1962 (voir son blog)


- Je me souviens également des combats de catch organisés par le cinéma le Central, et des combats entre l'Ange Blanc et les méchants Chéri-Bibi ou Roger Delaporte.


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- Un des meilleurs souvenirs de mon enfance, c'était, la "nuit de l'enfance" (voir les bulletins municipaux de février 1961, juin 1963) organisée tous les printemps par la mairie. Tous les enfants des écoles avaient le droit d'aller se balader dans tous les étages de la mairie où des ribambelles de gâteaux et bonbons étaient installés avec des jeux, et je me souviens encore de ce privilège d'entrer dans la mairie et de grimper dans la salle du conseil au dernier étage (à moins que les années aient enjolivé ce souvenir, ce qui est possible) sans les adultes !


- Un dernier souvenir de l'époque, celui-là très angoissant pour une petite fille :
Je me rappelle également les attentats de l'OAS , je ne comprenais pas de quoi il s'agissait, seuls les adultes, la radio et les journaux en parlaient, mais dès que je voyais ces 3 lettres peintes sur des murs, je changeais de trottoir... Je me souviens avoir dit à mes parents après la signature des accords d'Évian en mars 62 "alors on n'aura plus d'attentats ?"...
Que s'est-il passé à Puteaux :

Journal Le Monde du 26/01/1962 :
24/01/1962 attentat
. A PUTEAUX : chez M. Dardel, président du Conseil général de la Seine.

Une charge a explosé devant le perron du pavillon, 4, rue des Graviers à Puteaux, de M. Georges Dardel. Président du Conseil général de la Seine, sénateur S.F.I.O. Il est vraisemblable que l'engin a été jeté par-dessus les grilles. Il n'y a pas eu de blessé. Mais de nombreuses vitres ont été brisées. (Bulletin d'octobre 1961)

Le bulletin municipal du 15 février 1962 :
"https://www.puteaux.fr/var/plain_site/storage/kiosque/pi/PI_1962-02.pdf"

Georges Dardel, Sénateur Maire de Puteaux parle des deux explosions au plastic qui ont eu lieu, l'une devant l'Hôtel de Ville, l'autre chez lui.

28 février 1962, arrestation de Vincent et Tissandier dans un pavillon de la rue Sadi Carnot à Puteaux. Ils avaient participé à une cinquantaine de plasticages et à un attentat à Boulogne chez M. Malraux qui avait gravement blessé une petite fille.

Avec plus de 50 noms de putéoliens dans sa famille, Marie-France est en train de collecter de nombreux souvenirs sur Puteaux, qu'elle voudra peut-être partager avec nous dans d'autres témoignages.


JF.M 12/2021