étude


Louis Eustache Noël :
               « curé constitutionnel de Puteaux »


Par Anne CHABOT


En 1989, la France célébrait le bicentenaire de la Révolution française. A cette occasion, la Fédération des Sociétés Historiques et Archéologiques d'Ile-de-de -France avait organisé un colloque sur la Révolution en Ile-de-France. Anne CHABOT a présenté une communication sur « Louis Eustache Noël curé constitutionnel de Puteaux ».

Lorsque Louis Eustache N oël arrive à Puteaux, la localité est depuis peu de temps une paroisse (paroisse habitée par des vignerons, des blanchisseurs et des notables qui y ont leur maison de campagne) : il n'aura eu que trois prédécesseurs : Pierre De Cay, Desportes, Guillemin. Ce fut la première cure de Noël. Il est né le 26 janvier 1755 à Paris, il est fils de Etienne Noël et de Anne Girard. Il fait ses études au Séminaire de Saint-Nicolas du Chardonneret de 1782 à 1783.Après avoir enseigné à Grasse, il est nommé docteur à Aix (dans les deux droits : civil et canonique). Il revient à Paris en 1785 où il sera ordonné le 22 mai.

Sa première fonction religieuse fut le vicariat de Saint Barthélémy où sa tâche principale était de « porter des secours et des consolations aux malheureux que la prison de la Conciergerie renfermait ». (1)

Enfin il arrive à Puteaux : nous voyons apparaître pour la première fois sa signature sur les registres paroissiaux le 25 février 1788, comme desservant. Il ne fait suivre son nom du titre de curé qu'à partir du mois de juin.

Si la paroisse est de création récente, elle a dû sans doute prendre un certain essor, puisque dès 1744, un vicariat a été créé (l'évêque, pour justifier cette création mentionne la présence de soixante-dix gardes suisses presque tous catholiques dont plusieurs ont femmes et enfants de nombreux bourgeois de Paris qui résident à Puteaux une grande partie de l'année et d'enfants qui n'ont pas encore fait leur première communion) (2). D'autre part, un nouveau cimetière est nécessaire.

Pendant l'année 1789, le curé ne semble pas avoir joué un rôle très actif : dans les Cahiers de doléances, seules apparaissent de signatures de laïcs.

(1).Arch.Nat. F192134, dossier 1889
(2).Arc. Comm, « Pièces relatives à la création du vicariat de Puteaux ».

Par contre, lors de l'élection de la première municipalité, qui se déroule dans l'église le 7 février 1790, il se trouve à l'issue du scrutin à égalité de voix avec Guillaume Nézot, syndic en exercice. Et celui-ci sera nommé uniquement en raison de son âge.

Toute la paroisse assiste le 28 janvier à une procession entre l'église et le cimetière pour prêter serment «de maintenir de tous leurs pouvoirs la Constitution du Royaume, d'être fidèle à la Loy, au Roy et de remplir avec zèle et courage tant que de la part des officiers les fonctions civiles et politiques qui leur sont confiées et à nous tous de nous y soumettre (3). Le curé prononce un discours relatif à la cérémonie terminée par un Te Deum.

Il bénit le drapeau de la Garde nationale le 4 juillet, puis célèbre le 14 la messe sur l'autel de la Patrie dressé à cet effet au Pont de Neuilly où la paroisse s'est rendue processionnellement depuis l'église. Toute l'assemblée prête serment de fidélité à la Nation, à la Loi et au Roi, de maintenir la constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le Roi, de protéger la sûreté des personnes et des propriétaires, et la libre circulation des grains et de rester unis à tous les Français par les liens indissolubles de la Fraternité. On crie : Vive le Roi et Vive la Nation. Puis l'on chante l'Exaudiat (prière pour le Roi) et le Te Deum.

Le curé est ensuite élu Officier municipal, le 22 novembre, et veut utiliser l'écharpe de l'Officier sortant pour éviter des frais inutiles. Le Conseil municipal s'intéresse à l'état de la maison presbytérale décrite « comme un lieu malsain, tombant en vétusté, menaçant ruine dans plusieurs parties et faisant craindre pour les jours du vicaire et de ceux qui la visitent. »

Enfin, le 14 janvier 1791, le curé promet de prêter le serment prescrit par le décret du 27 novembre 1790, décret qui lui a été transmis le 13 et qui va diviser l'Eglise de France.

Le dimanche 16 janvier 1791, à l'issue de la messe paroissiale, toute la paroisse se retrouve réunie pour entendre le serment du curé et du vicaire. Après lecture par le secrétaire greffier de la loi portant injonction aux évêques, curés et vicaires de prêter serment

Eustache Noël revêtu de son étole et de son écharpe est montée en chaire et a dit :

(3).Arch. Comm., Registre de délibérations du Conseil municipal.


« Moy curé de Puteaux, je jure de toute mon âme veiller sur les fidèles qui me sont confiés, leur faire chérir la Nation, la Loy et le roy et observer inviolablement la constitution civile et ecclésiastique nouvellement décrétée ».

Louis Denis POINTIER, vicaire, de sa stalle a répété le même serment. Ce qui pose un problème au clergé français : c'est la constitution civile, ce qui signifie une soumission à l'autorité laïque et non plus au pape.

Louis Denis POINTIER est d'ailleurs à Puteaux depuis peu de temps, puisque jusqu'au 22 novembre 1790, le vicaire était LE COUTURIER ;

Cela n'empêche pas le clergé de garder avec la population sa confiance au roi : lors de la convalescence de celui-ci, la municipalité tient à suivre l'exemple de Paris et se rend avec la Garde nationale, drapeau déployé, au son des cloches, pour entendre le Te Deum chanté par le curé.

Le curé voit arriver encore un nouveau vicaire le 27 septembre : Jean-Louis Gillet qui montre son certificat de prestation de serment.

Le curé a la confiance de la municipalité puisqu'il est nommé trésorier dépositaire des fonds de la commune le 19novembre.

L'année suivante, le 15 mars, la paroisse est en émoi : il est question de réunir de nouveau « Mgr. l'évêque de Paris et le supplier de prendre en considération tous les motifs qui s'opposent à la suppression de la paroisse. Une délégation de 32 personnes dont le maire et le curé se rendront à Paris le jour que l'évêque voudra bien leur fixer pour exposer leurs doléances à ce sujet.

Le curé est nommé aumônier de la Garde Nationale.

Puis les habitants souhaitent conserver leurs cloches (dont la réduction est demandée) étant donné les écarts considérables qui existent dans la ville pour indiquer aux baptisés les heures des offices.

Le 9 septembre, le curé et le vicaire prêtent à nouveau serment (ordonné par la loi du 14 août) : « Je jure d'être fidèle à la Nation, de maintenir la Liberté, l'Egalité et mourir en les défendant ».

Puis le secrétaire greffier est élu pour tenir les registres d'état-civil. Le 4 décembre 1792, le curé dépose les registres paroissiaux (d'après les registres de délibérations de l'époque, ils semblent remonter jusqu'en 1580, alors que de nos jours, le plus ancien registre est de 1642). Mais le secrétaire greffier semble surchargé de travail et le curé tiendra encore les registres pendant presque toute l'année 1793.

Cette année voit aussi une élection municipale très difficile : les candidats refusent le poste de maire : une première élection a lieu le 13, puis le 14 et enfin le 17 : trois personnes pourraient être élues : Louis Eustache Noël, Pierre Denis Hutray, et Claude Pontheaux.

Mais la nomination de Pierre Denis Hutray est finalement refusée. Il y a donc ballotage entre le curé et Claude Pontheaux : celui-ci se retire en disant qu'il est père d'une nombreuse famille- Robert Gault et Louis Eustache Noël se trouvent en ballotage. Mais « Pierre Nézot dit La Vigne » se lève et dit que la paroisse se couvrirait de honte et traiterait les habitants de ... s'ils choisissaient un tel maire. Il faut donc s'en remettre au hasard. Enfin Charles Louis François Gault accepte.

Le 3e jour du dernier mois de l'an II (24 octobre), il est demandé aux putéoliens de desceller les cloches de l'église (à l'exception de la plus grosse qui indique l'heure), les grilles qui séparent le sanctuaire de la nef et les grilles des fonts baptismaux. Les objets d'or et d'argent doivent faire l'objet d'un inventaire : à l'époque ils consistaient en un ostensoir d'argent, or et vermeil, deux calices et leurs patènes, une boîte renfermant les huiles saintes pour les malades, les galons bordant les guidons de la Vierge et du Saint Sacrement, et ceux bordant les bannières. Ils sont placés sous la responsabilité des citoyens Gault, maire, Noël, curé, et Jean-Pierre Frappart qui iront les déposer à la Convention nationale. Le curé voulant s'assimiler complètement aux autres citoyens, va adoptes le 5 brumaire de la troisième décade de l'an II (15 novembre 1793) une petit -fille dont le père est parti et dont la mère est décédée et dont « il s'est chargé » depuis le « onze novembre mil sept cent quatre-vingt- neuf » (4). Il s'agit de Marie-Sophie Besnard âgée de six ans et demi. Là, le curé est qualifié de « Cultivateur et curé ». Il a déclaré « adopter maditte Marie Sophie Besnard comme sil elle était son propre sang et entend qu'elle jouisse des mêmes avantages et soins qu'un Enfant de Sang » (5). Cet acte d'adoption est le seul acte d'adoption trouvé dans le registre des naissances et il est suivi d'une vingtaine de signatures.

(4). et (5).Arch.com., Registre des naissances d'état-civil de Puteaux 1793-1802


Puis Noël assistera le samedi jour de la première décade du mois de frimaire an II (le 30novembre 1793) à la plantation d'un nouvel arbre de la Liberté devant la porte de la « cy-devant paroisse ».

Cependant un de ses paroissiens, le dénommé Coudray, l'accuse d'être conspirateur conjointement avec les Dames de Montenault, le ci-devant curé de Saint-Nicolas, Delisles valet de chambre de Louis Capet. Mais lorsque le duodi de la 2èmedécade de frimaire an II (2 décembre 1793), Noël se présente devant le Conseil municipal de Puteaux, il a droit à une défense en cinq points :

1 - Cette dénonciation faite par « l'infâme Coudray » est le résultat de la plus odieuse calomnie.

2 - Nous n'avons reconnu chez le citoyen Noël que des « sentiments de fraternité, de bonne amitié et d'attachement pour la paroisse ».

3 - « Notamment depuis la Révolution, le citoyen Noël a donné les plus certaines d'un amour constant pour sa patrie »

4 - Il n'a « jamais eu d'autre langage que celui de la soumission à la loi, que celui de la fidélité respectueuse à la loy ».

5 - « Que les citoyennes de Montenault accusées par l'infâme Coudray. d'être le foyer des opérations conspiratrices sont maintenant réintégrées dans leur domicile, deux avec droit de récrimination par la Commune de Paris qui les avait arrêtées ».

En outre, le procès-verbal est remis au curé pour être montré au Comité de surveillance de Paris, à la municipalité de Courbevoie, à la Société populaire et à celles de communes qui nous environnent pour lui éviter l'arrestation dont il est menacé.

Mais quelques années plus tard lorsqu'il demandera l'augmentation de sa pension au Ministère de l'Instruction publique, il déclarera avoir été arrêté et contraint de se marier (6). Ce qu'il avait fait le 9 nivôse an II (29 décembre 1793) avec Marie-Madeleine Drujon, une veuve qui est depuis plusieurs années à Puteaux et qu'il doit connaître puisqu'ils ont été parrain et marraine d'une fille du chirurgien de la paroisse en 1789.
(6). Cf. note 1

Le 26 nivôse (15 janvier 1794), il est élu comme notable.

Cependant Puteaux suit avec un peu de retard les tendances de Paris puisque le sextidi de la première décade de pluviose an II (25 janvier 1794), l'église est transformée en « Temple de la Raison » et l'on supprime la croix et « les marques de fanatisme ».
Puis le vicaire va déposer le 3 ventose an II (21 février 1794, ses titres de prêtrise et demande à l'assemblée de les brûler. Ce qui est fait.

Ensuite le 2 prairial (21 mai 1794), la municipalité substituera au mot de : Temple de la Raison : « Le peuple français reconnaît l'Etre Suprême et l'immortalité de l'âme ».

Puis la Commune célèbre le culte de l'Etre suprême et Noël fait partie de la commission chargée de dresser l'ordre de marche du cortège à travers toute la commune jusqu'au Temple de l'Etre suprême où sera lu le discours de Robespierre et où les hymnes en l'honneur de l'Etre suprême seront chantés.

Enfin le 3 messidor an III (21 juin 1795) les citoyens de Puteaux demandent la réouverture du temple et ils présentent le citoyen Jean-Louis Gillet ci-devant vicaire constitutionnel qui déclare « être dans l'intention d'exercer le culte (selon le décret du 11 prairial) ». La municipalité se rend devant la porte principale de l'église où ils réitèrent leur demande. Le curé ne se manifeste pas.
Par contre, le 9 messidor, il est élu membre du Conseil général de la commune, puis le 24 sergent -major de la Garde nationale.

Il attendra le 25 thermidor an II (12 août 1795) pour demander à jouir du libre exercice du culte catholique.
Nous retrouvons sa trace dans le document déjà cité plus haut : il tient pension sur le lycée Henri IV et il enseigne la religion catholique aux enfants et les mène au catéchisme. Il dit qu'il a les meilleurs certificats du proviseur et du curé de Saint-Jacques du Haut Pas. Mais on lui intime l'ordre de cesser son pensionnat en 1816 : il doit se contenter de tenir une classe qu'on lui demande de fermer en 1822. Puis il se retire à Neuilly-sur Seine où malade et menacé d'atteinte d'apoplexie, il envoie la supplique au Ministère de L'Instruction publique.

- Mémoireq de la Fédération des Sociétés Historiques et Archéologiques de Paris et de l'Ile de France Tome 41.

A.C. - 05/2022

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B.Nat..