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Dans la saga des Gramont :

  « Agénor Antoine X de Gramont »


Par Jean-François Martre


1819 - Antoine X, Alfred Agénor duc de Guiche puis duc de Gramont (meurt en 1880) Où il est question de la Dame aux Camélias, du château des Bouvets à Puteaux et de la dépêche d'Ems.

Duc, diplomate, homme politique.
Dans le tome 1 de ses Mémoires, Élisabeth de Gramont nous parle longuement de son grand-père Antoine X - Alfred-Agénor de Gramont. Il nous intéresse pour le rôle qu'il a été amené à jouer dans deux épisodes historiques : La Dame aux Camélias et la dépêche d'Ems. Mais comme vous allez vous en rendre compte, les Gramont ne sont jamais loin de Puteaux.

Alfred-Agénor est né à Paris le 14 août 1819.
Son père est Antoine IX et sa mère Ida d'Orsay.
Sa famille, après les Trois Glorieuses de juillet 1830, suit l'exil de Charles X et du dauphin Henri d'Artois, plus connu sous le nom de comte de Chambord, à Édimbourg au château de Holyrood, puis à Prague au château de Hradschin que l'Empereur d'Autriche avait mis à disposition des Bourbons.
Charles X est le dernier de la branche ainée des Bourbons à avoir régné ; il abdique en 1830 en faveur de son petit-fils Henri d'Artois, 9 ans, qui ne règnera jamais du fait de la montée du duc d'Orléans sur le trône.
Comme on le voit tout au long de cette saga, les Gramont sont de proches serviteurs du pouvoir et le suivent même en exil.

De retour en France, Alfred-Agénor poursuit ses études au collège Sainte-Barbe et finit polytechnicien. Contrairement à ses ancêtres, il renonce à la carrière militaire qui s'ouvrait à lui, au grand dam de Charras, le président du club des Polytechniciens, qui lui en refusera la légion d'honneur des années plus tard.
Le jeune duc de Guiche se laisse détourner par les plaisirs de la vie parisienne.
Ce bel homme, alliant le prestige de son titre à une irrésistible séduction, eu de nombreuses aventures galantes dont trois avec les plus belles courtisanes de son époque : la célèbre tragédienne Rachel, la demi-mondaine La Païva en 1848 et surtout Marie-Duplessis, « la Dame aux Camélias » dans les années 1841.

La Dame aux Camélias

Voici à nouveau un lien entre cette saga et la littérature.
C'est le jeune duc de Guiche, 22 ans, qui la lance dans la vie parisienne, et cette liaison du duc avec Alphonsine Plessis - tel était le nom véritable de la belle poitrinaire- a fourni à Alexandre Dumas fils (lui-même un de ses derniers amants) la trame de son roman (1848) puis de sa pièce (1852) et dont Verdi a emprunté le sujet pour la Traviata (la Dévoyée) (1853).

Voir l'article du Monde du 20 mars 2005
"https://www.youtube.com/watch?v=phH7rAnZHRg"

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Marie Duplessis peinte par Jean-Charles Olivier vers 1841,
quand elle était la maîtresse du duc de Guiche, elle a 17 ans et lui 22 ans.


Rose-Alphonsine Plessis est née en 1824 à Nonant-le-Pin dans l'Orne, dans une famille malheureuse de paysans normands. A Gacé (Orne), un musée lui est consacré. Elle perd sa mère à 7 ans. Son père alcoolique l'abandonne puis la vend à un septuagénaire ayant une détestable réputation de débaucheur, enfin l'emmène à Paris où il l'abandonne une deuxième fois.
Alphonsine travaille comme blanchisseuse pour 22 francs par mois en travaillant 13 heures par jour, six jours par semaine. C'est alors qu'un restaurateur du Palais-royal la remarque et lui propose de la « mettre dans ses meubles », le choix est vite fait. Un appartement à soi, et 3000 francs pour couvrir ses dépenses initiales ; sa nouvelle vie est lancée. Elle n'a que 16 ans et s'ennuie.
« Elle est grande, très mince, noire de cheveux, rose et blanche de visage. Elle avait la tête petite, de longs yeux d'émail comme une japonaise, mais vifs et fins, les lèvres du rouge des cerises, les dents les plus belles du monde, on eût dit une figurine de saxe » ainsi la décrit Alexandre Dumas fils.
Mais pour l'instant, en résumé : elle est belle à tomber et ignare..
C'est là, début 1841, que, au bal du Prado, elle rencontre celui qui changera sa destinée. Agénor de Guiche sera son Pygmalion, il la transforme en une femme raffinée dont le salon attirera la fine fleur de la littérature de Balzac à Alfred de Musset. Follement épris, il la couvre de bijoux et de vêtements, et surtout il lui fait prendre des cours de français, de dessin, de musique et de danse, et lui fait adopter un nouveau nom, Marie Duplessis, aux sonorités plus aristocratiques.
La famille Gramont ne voit pas d'un bon œil cette liaison, le père d'Agénor intervient pour mettre fin « au scandale » et Agénor est expédié à l'étranger.
Parmi les amants de Marie Duplessis, Alexandre Dumas fils établit une relation amoureuse de 1844 à 1845 qu'il finit par rompre, n'ayant pas les moyens de l'entretenir. Pour être sûr que les lecteurs de son roman ne s'y trompent pas, il a donné à son héros ses propres initiales, Alexandre Dumas devenant Armand Duval.
Enfin le comte Edouard de Perregaux finit par l'épouser à Londres. Malheureusement il semblerait que Marie convoitait son titre pour impressionner Franz Liszt, avec lequel elle entretenait une relation passionnée, et qui était fort sensible aux connections avec la bonne société..
Mais pas suffisamment pour accepter l'offre de Marie de l'accompagner dans sa longue tournée de 18 mois. » Je ne vous dérangerai pas » plaidait Marie « je dors toute la journée et la nuit, vous ferez de moi ce que vous voudrez ».

Après le refus de Liszt et se sachant malade, elle se jette dans une consommation de fêtes à outrance qui ont inspiré le premier acte de la Traviata. La tuberculose est alors une maladie incurable et fréquente, 1 décès sur 4 lui est dû à cette époque.
Elle meurt en 1847 à 23 ans à Paris en compagnie de ses anciens amants Edouard de Perregaux et Edouard Delessert.
Elle habitait au Ier étage du 11 boulevard de la Madeleine, toujours visible.
Sa tombe au cimetière de Montmartre existe toujours.

(De nombreux emprunts sont faits à l'article paru le 19 novembre 2018 dans le blog du Théâtre des Champs Élysées, signé par Vannina Santoni et Saimir Pirgu.
" https://blog.theatrechampselysees.fr/la-vraie-histoire-marie-duplessis/ "

Mais, revenons à Guiche. En 1842, il a donc été expédié à Londres chez son oncle maternel Alfred d'Orsay. Il se met à voyager en Europe et notamment à Vienne où il se lie d'amitié avec le prince Schwarzenberg futur chancelier d'Autriche dont il a subi très fortement l'influence.



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Portrait londonien de 1842, par son oncle Alfred, Guillaume-Gabriel d'Orsay.


Les parfums d'Orsay et le château des Bouvets à Puteaux

Alfred d'Orsay, le frère de sa mère Ida, est un dandy célèbre, résidant à Paris et à Londres. C'est à Turin d'abord, puis à Londres qu'il a fréquenté Louis Napoléon Bonaparte alors en exil, allant jusqu'à lui prêter vingt mille livres sterling pour financer son entreprise de débarquement à Boulogne-sur-Mer.
C'était un artiste qui s'intéressait à la peinture, la sculpture, mais aussi à la création de parfums pour les femmes qu'il fréquente.
En 1830, il crée « l'eau de Bouquet » pour sa muse qui deviendra plus tard sa femme. Il imagine un parfum, une fragrance d'absolution qu'ils peuvent porter tous les deux, une fragrance sans étiquette, dans un petit flacon orné d'un morceau de ruban bleu. Les héritiers de la marque d'Orsay garderont le thème de l'histoire d'amour, du parfum pour le couple et du parfum d'ambiance. Ils éditeront en 1908 « La Rose d'Orsay ». C'est en 1923 que les parfums d'Orsay s'installèrent au château des Bouvets à Puteaux, dans une usine qui comptera jusqu'à 500 ouvriers et ne fermera ses portes qu'en 1972.



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Parfumerie d'Orsay, Château des Bouvets près de la Place de la Défense, Carte de 1927.




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"https://www.biusante.parisdescartes.fr/histoire/images/?do=informations-iconographiques&refphot=medpharma_res008536x0688 "

La marque des parfums d'Orsay existe toujours. Bon article « à-propos ».
Tous les ans depuis 1925, il fait la une du New Yorker.
"https://dorsay.paris/a-propos/ "

Je vous renvoie au très bon article sur les parfums d'Orsay de Dominique Valentin sur le site de Racines en Seine.
" http://www.racinesenseine.fr/puteaux/pages/rose0007.html "

Voir aussi

Le beau d'Orsay de Serge Fortis Rolle, 1978 chez Julliard
" https://excerpts.numilog.com/books/9782260036616.pdf "

Vous voyez qu'avec les Gramont, on finit par parler de Puteaux.

Le Diplomate

En 1848, au moment où éclate la révolution de Juillet, Agénor est de nouveau à Paris où il est élu premier lieutenant dans la 1e légion de la garde nationale de Paris. Il allait prouver pendant cette terrible insurrection que bon sang ne peut mentir et se fit remarquer pour son courage.
Le Colonel Charras avec lequel il était en froid, le raye de la liste des propositions à la Légion d'Honneur. Charras rapporteur des commissions militaires, républicain modéré, résolument hostile à Louis-Napoléon Bonaparte devra s'exiler après le coup d'état du 2 décembre 1851. Son nom est donné, avec celui de son père le Général Charras, à la caserne de Courbevoie en 1886 dont les bâtiments ont été détruits en 1962 pour céder la place à un centre commercial.

Démobilisé, on retrouve Agénor à Londres fin 1848 où il épouse Emma-Mary Mac-Kinnon, descendante d'un des plus vieux clans écossais, c'est une écuyère accomplie.
Mis au courant des évènements de 1848, le Prince Napoléon accroche lui-même la médaille de la Légion d'Honneur à la veste du duc de Guiche fin décembre 1850.
Deux ans plus tard, après le 2 décembre 1852, lorsque celui qui est devenu Napoléon III cherchant à se rallier une partie de l'aristocratie lui propose d'être nommé ministre plénipotentiaire de France en Hesse-Cassel, Agénor accepte sans hésitation.
Très certainement, le Prince remerciait à travers le neveu son ancien bienfaiteur Alfred d'Orsay.
De leur côté, le comte de Chambord, son ami d'enfance, et une grande partie de l'aristocratie s'offusquèrent de cette nomination.
L'idée que le duc de Guiche s'apprêtait tout simplement à servir la France n'était venue à personne.
Il resta très peu de temps à Stuttgart et Cassel, fut promu à la première classe de sa fonction et nommé envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire à Turin auprès du Roi Victor-Emmanuel en février 1853. Il fut très apprécié du Roi et fit la connaissance de Cavour dont le rêve était de placer l'Italie toute entière sous la croix de la Savoie, projet qui avait l'agrément secret de Napoléon III.
En 1855, son père meurt, il prend le titre de duc de Gramont.
En 1857, nouvelle mission et nomination au poste de première importance d'ambassadeur près du Saint-Siège. A 38 ans, c'est une promotion exceptionnelle. Il est le représentant de la Puissance protectrice auprès du Pape Pie IX et du Vatican. Il devient l'ami du Pape, mais c'est pendant cette période de son ambassade, jusqu'à l'automne 1861, que se déroule la guerre victorieuse livrée par le Piémont et la France à l'Autriche.
L'unité italienne est réalisée dès mars 1861, Victor-Emmanuel devient le Roi à l'exception de Rome et des territoires sur lesquels le pape règne encore.
Il est amusant de noter que l'un des principaux artisans de cette unité est Camillo Cavour dont un oncle est un Clermont-Tonnerre (comme le mari d'Élisabeth de Gramont), et d'autre part que Verdi est alors député à Turin et acclamé à la fin de chaque opéra « Viva V.E.R.D.I » (Victor Emmanuel Roi D'Italie).
Cette ambassade s'avéra difficile et pénible pour cet aristocrate catholique défenseur du Pape et finalement en porte-à-faux avec la politique secrète menée par Napoléon III.
A Paris, au Cercle de l'Union, dans les milieux aristocrates où il était honni, on voulait le mettre en pièces, on l'accusait d'être un espion auprès du Pape. Il demanda sa mutation et fut nommé à Vienne.
Il y resta huit ans. Après ce séjour romain si pénible, la capitale aristocratique d'Autriche ne semblait lui ouvrir que des perspectives riantes. Sa qualité d'Ambassadeur et sa grande naissance allait lui ouvrir les portes des résidences des premières familles de l'empire. L'Impératrice elle-même, cette mystérieuse et splendide Élisabeth, plus connue sous son surnom de Sissi, dans tout l'éclat de ses vingt-cinq ans, l'émerveillait par sa connaissance de ce qui se passait aux Tuileries, et amazone incomparable passait de nombreuses heures avec la duchesse Emma-Marie de Gramont qui devenait une intime de l'Impératrice. Gramont fut sans illusion sur la faiblesse de l'Empire et sa correspondance avec le quai d'Orsay resta toujours très lucide. Il eut plusieurs occasions de rencontrer Bismarck qu'il connaissait bien et de s'entretenir avec lui.



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Caricature du duc de Gramont en 1864, Ambassadeur de France à Vienne,
poursuivant les ombres de Bismark et de Rechberg.


Sans garantir sa neutralité, la France n'intervint pas dans la guerre au côté de la Prusse qui écrasa l'Autriche à Sadowa le 3 juillet 1866.

Le 14 août 1866, le duc de Gramont est fait grand-croix de la Légion d'Honneur.

Le ministre des Affaires étrangères - De l'honneur à la défaite en quatre mois

Le 14 mai 1870, le duc de Gramont est rappelé à Paris pour être nommé ministre des Affaires étrangères du Gouvernement d'Émile Ollivier.



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Antoine X, Alfred Agénor, duc de Gramont peint par Eliseo Sala.
Collection Gramont par Olivier Ribeton.


Dans le tome 1 de ses mémoires, Élisabeth de Gramont nous parle de son grand-père Antoine X-Alfred-Agénor duc de Gramont. (1819-1880)

Il y a toujours eu un Gramont proche des rois. Celui-ci, bien qu'élevé près du berceau du comte de Chambord et ami des fils de Louis-Philippe, fut appelé par Napoléon III car, « lieutenant de la nouvelle Garde Nationale, il défendit Paris pendant les fameuses journées de juin 1848 », et Napoléon III avait besoin de se rallier une partie de l'aristocratie. Il fait une carrière brillante, devint ministre plénipotentiaire à Cassel, Stuttgart et Turin, puis Ambassadeur auprès du Saint Siège au Vatican, enfin à Vienne où il gagne la confiance de l'empereur François-Joseph tandis que sa femme devient une intime de l'impératrice Élisabeth.
Hésitant, manquant de véritable ligne de conduite, Napoléon III ne peut empêcher la stratégie de Bismarck qui conduit à la guerre austro-prussienne et impose la suprématie de la Prusse en Allemagne.
Le 14 mai 1870, Napoléon III nomme le duc de Gramont ministre de Affaires étrangères. « Le pouvoir occulte de la destinée voulut que Napoléon III, en lui donnant ce témoignage de confiance et de sympathie, fût l'ouvrier de sa perte. Le duc de Gramont, s'il eût été nommé ambassadeur à Londres, n'aurait pas été le bouc émissaire de la guerre de 1870 ».
Partisan convaincu d'une alliance avec l'Autriche et l'Italie, sous estimant l'ascension de la Prusse conduite avec une maîtrise incomparable par Bismarck, il fit le 6 juillet 1870 des déclarations à l'Assemblée d'une rare violence contre la réactivation par Bismarck de la candidature de Léopold de Hohenzollern au trône d'Espagne.
S'en suivit alors la fâcheuse escalade qui conduisit à la déclaration de guerre à la suite de l'imbroglio de la « dépêche d'Ems » et le 15 juillet 1870, c'est lui qui lut à la tribune de la Chambre cette déclaration de guerre.
Et Élisabeth de Gramont de poursuivre :
« Le 2 septembre 1870, il n'y avait plus ni Empire ni Empereur.
Toute une génération fut assommée par le coup de massue de Sedan. L'assassinat Bismarckien était complet.
J'en ai connu de ces vieux beaux du second Empire qui ne se sont jamais consolés de la perte de leurs quadrilles. Ils m'ont fait prendre ce second Empire en horreur. »


La dépêche d'Ems

Il s'agit d'un télégramme envoyé le 13 juillet 1870 par Bismarck à toutes les ambassades dans lequel il rapporte un court dialogue entre le roi de Prusse Guillaume 1er et l'ambassadeur de France dans les jardins de Bad Ems où le roi est en cure.
Au cours de cet entretien, le roi, pour apaiser les craintes d'encerclement de la France, entérine le retrait de la candidature du Prince Léopold de Hohenzollern- Sigmaringen au trône d'Espagne, mais refuse qu'il n'y ait plus jamais d'autres candidatures.
Dans sa dépêche, Bismarck se veut provocateur pour pousser la France à déclarer la guerre, en omettant volontairement de parler du retrait de la candidature allemande.
Des manifestations nationalistes ont lieu à Paris les 13 et 14 juillet et le 15 juillet, à la majorité des deux chambres et la France déclare la guerre.

Après la révolution du 4 septembre 1870, menacé et accusé, le duc de Gramont dut s'exiler à Londres.
Au printemps 1872, le calme étant revenu, le duc et la duchesse rentrent à Paris et s'installent dans un hôtel rue La Pérouse. Il y vécut jusqu'à sa mort en 1880 dans une retraite profonde, ruiné au trois-quarts, ayant dépensé la fortune de sa femme pour mieux soutenir ses brillantes ambassades.

Les références :

- Le duc de Gramont, par Constantin de Grunwald, Gentilhomme et Diplomate, Librairie Hachette, 1950.
- Mémoires, tome1 Au temps des Équipages, par Élisabeth de Gramont, Chez Grasset, 1928.


J.F.M. - 02/2022