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Singulier |
Pluriel |
C.S. : putels |
C.S. : putel |
C.R : putel |
C.R : putels |
Le C.S. singulier ressemble au cas régime pluriel et, inversement, le cas régime singulier ressemble au cas sujet pluriel.
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A l’époque de Suger, l’évolution phonétique avait déjà entraîné une modification des finales « -ls ». « L » se vocalisa en « ou », semi-voyelle écrite « u », mais prononcée comme le « W » anglais dans « with », par exemple. Cette transformation est due au fait que, dans cette position (voyelle + l + s), « l » se prononçait dans le fond de la bouche, sous le voile du palais, particularité qui, au fil du temps, transforma cette consonne en « ou » semi-voyelle (w).
Dans la catégorie à laquelle appartiennent, pour prendre quelques exemples, « putel », « chastel », « agnel », « mantel », « chapel », etc., la vocalisation de « l » en « w » (écrit « u ») s’accompagna de la diphtongaison de « e » en « ea ». La finale « els » est donc devenue « eaus », « eau » (qui n’a rien à voir avec « eau » issu d’ « aqua ») étant une triphtongue, émise en une seule syllabe, chacun des éléments étant effectivement prononcé (é + a + w), ainsi que l’ « s » final, d’ailleurs.
La déclinaison de « putel », « chastel », etc., est donc devenue la suivante :
Singulier |
Pluriel |
C.S : puteaus |
C.S : putel |
C.R.: putel |
C.R. puteaus |
« Putels » est remplacé par « puteaus », au cas sujet singulier, comme au cas régime pluriel.
La variante « putiaus » est, selon Guy Raynaud de Lage, dans son « Manuel pratique d’ancien français » (Picard et Cie, Paris, 1964), à la page 227, et à propos de « chastiaus », « une forme picarde en principe, en fait répandue au-delà de la Picardie ». Le texte de Suger est une preuve de cette diffusion. Le « z » de Putiauz est probablement dû à une habitude ancienne ; « ls » s’écrivait d’ordinaire « lz », à « putels » correspondait « putelz », et ce « z » aurait continué à se substituer à « s » dans les formes nouvelles « eaus », « iaus ».
Dans le texte considéré, « villa nova in loco qui vocatur Putiauz », il ressort de l’analyse grammaticale que le mot français désignant le lieu-dit est au cas sujet singulier car, au pluriel, nous aurions « Putel » (peut-être « Putiel »). Le sens est donc « Bourbier », et non « Bourbiers », comme le donnerait à penser une interprétation à partir du moyen français ou du français moderne.
Dès le 14e siècle, en effet, vers 1350, date conventionnelle, le cas sujet a disparu, l’ancien français donnant ainsi naissance au français moderne, dont le premier aspect (1350 – 1600) est appelé, pour la commodité, moyen français. Il ne nous reste plus que le cas régime, qui se charge aussi du rôle du cas sujet. Nous devrions donc avoir : « chastel (sing.), « chasteaux » (plur.), « agnel », « agneaux », etc., et si le mot n’était pas sorti de l’usage au 15e siècle, « putel », « puteaux ». Or, nous constatons que le singulier est devenu « chasteau », « agneau »,… « puteau ». Que s’est-il pasé ? L’explication est simple ; il s’agit de formes analogiques issues de « châteaux, « agneaux », etc., par suppression de la marque du pluriel qui, à l’époque, se prononçait. Cette substitution de formes ne résulte pas d’une décision d’une quelconque académie, inexistante d’ailleurs, mais, tout simplement, de l’usage. Tout comme la réduction de la triphtongue « eau » en une voyelle unique « o » fermé, prononciation en vigueur depuis quatre ou cinq siècles.
Précisons, toutefois, que la question de savoir si, dans le texte de Suger, « Putiauz » est au singulier ou pluriel peut être discutée, car « les noms propres ont préféré de bonne heure la forme régime » (L. Clédat, Chrestomathie du Moyen Âge, p. XIII ; Librairie Garnier frères, Paris, 1932).
Il reste à expliquer la terminaison en « x », qui résulte d’une erreur. « Dans les manuscrits [la] finale « us » était représentée par un sigle qui ressemblait à « x » : on écrivait « chevax », qui correspondait à « chevaus » (Joseph Anglade, « Grammaire élémentaire de l’ancien français », Paris, Armand Colin, 1947, p. 84). Plus tard, vers le 15e siècle, on perdit le sens de cette façon d’écrire, qui parut anormale, et l’on inséra un « u » entre « a » et « x ». Malheureusement, on ne comprit pas qu’il fallait restituer « s » et supprimer « x ». Ainsi naquit cette fausse question des pluriels en « x » !
3) Quelques citations d’auteurs
Putel, -tiel n. m. (XIIe – XVe s.). Bourbier :
« Li deable l’ame en plungent
En lor putiaus et en lor boes »
(XIIIe s. Gautier de Coincy). Etym. put.
Traduction : « Les diables en plongent l’âme
Dans leurs bourbiers et dans leurs boues » (J. Loillieux).
Lors l’a saisie par la treche
et vers un ort putel s’adrece,
ens l’a getée et balanchie.
Gerbert de Montreuil, XIIIe s.
(La continuation de Perceval, vers 15601–15603)
Traduction : « Alors, il l’a saisie par la tresse [de ses cheveux]
et se dirige vers un sale (infect) bourbier ;
dedans il l’a jetée et précipitée » (J. Loillieux)
Voici deux citations du « Roman de la Rose » (XIIIe s.), publié chez H. Champion par Félix Lecoy, 1965 – 1970.
L’en te devroit en un putel
tooullier conme un viez panufle. (vers 6354–6355)
Traduction : « On devrait te plonger dans un bourbier comme un vieux chiffon » (J. Loillieux)
Dignetez et poissances done,
ne ne prent garde a quel persone ;
car ses graces, quant les despant,
en despendant si les espant
qu’el les giete en leu de poties
par puteaus et par praeries. (vers 6531 – 6536)
Traduction : « Elle [la Fortune] donne dignités et pouvoirs
et ne prend garde à qui ;
car ses faveurs, quand elle les distribue,
elle les répand de telle sorte qu’en les distribuant
elle les jette dans un lieu d’immondices
à travers bourbiers et prairies » (J. Loillieux)
Enfin deux citations de « La vie de saint Thomas Becket » de Guernes de Pont-Sainte-Maxence (XIIIe s.), éd. d’Emmanuel Walberg, chez H. Champion, 1964
Fait Robert : « La terre est voide del traïtur
Qui voleit la corune tolir a son seignur,
Traitez deüst bien estre a mult grant desonur,
Getez en un putel u en greinur puur » (vers 5761 – 5764)
Traduction : « Robert dit : ‘’La terre est vide (= débarrassée) du traître
Qui voulait à son seigneur prendre la couronne.
Il aurait bien dû être traité à très grand déshonneur,
Jeté en un bourbier ou en plus grande puanteur’’ » (J. Loillieux)
Geter en un putel e as chiens e as pors (vers 5775)
Traduction : « Jeter en un bourbier et aux chiens et aux porcs » (J. Loillieux)
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Texte fondateur d’une ville neuve au lieu dit PUTIAUZ
et privilèges donnés à ses habitants
par Suger, abbé de Saint-Denis

(Archives National LL 1167 fo 52 verso, Cartulaire de Rueil XIIIe siècle)
Traduction en français du texte en latin
« Nous voulons faire savoir à tous présents et à venir que moi, Suger, par la grâce de Dieu abbé de l’Eglise des saints martyrs du Christ Denys, Rustique et Eleuthère, avons fait faire, du commun consentement de nos frères, une ville neuve près du fleuve de Seine au lieu qu’on appelle putiauz. Pour les hôtes qui demeureraient dans la dite ville, nous avons décidé que, en ce qui concerne l’amende due pour les délits ordinaires, ils paieront douze deniers ; qu’ils seraient exemptés de toute taille ; qu’ils ne s’en iront pas à l’ost, sauf notre présence, qu’ils ne répondront pas en matière de « justice » autrement qu’à nous ou à notre sergent qui demeurera dans la dite ville. Mais en ce qui concerne l’amende due pour les grands délits, ce qui est le cas du vol et d’autres semblables, nous les privilégions absolument de rien.
Fait à Saint-Denis l’an du Verbe incarné mil cent quarante huit ; sceau de Guillaume, prieur et infirmier, de Guillaume préchantre, sceau de Godefroi, trésorier et sceaux de quantité d’autres. »
(Sous ce texte, plus bas et d’une autre main)
Ci sunt les dismes (les cens, un mot rayé) depprès nouviaux
Pierre d’Argenteuil le vieil Guillaume le Bouchier
Houdinet le bouchier La Bourrenne
Jehan de la Marche Jehan Renout
Guillaume Martin Guillaume Clarembout
Jehan le trancheur Perrenelle d’Argenteuil
Pierre d’Argenteuil le jeune les effans Jehan Abece
Jehan de Clichi Guillaume La Merde, hoc est dictum la Mare
La fameux Thomas le bouchier Guillaume Maupetit de Cennoy
(…) Morise Hodierne
Mestre Jehan de Dammartin
enmon de Poici (Plus bas, sous cette liste)
l’hostel de Bergermal
Perres Pourri Valent XXX•III & Xiii S.
Andri Pourri
Gile Aubert
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Cette étude est extrait du livre « Histoire de la Paroisse de Puteaux » ouvrage collectif auquel a participé Monsieur Jean Pierre Brut.