étude

Un siècle d'histoire du logement social à Puteaux

Par Jean Pierre Brut

Annexe 7

Extrait de "EN FAMILLE" d'Hector MALOT le village ouvrier
Deuxième partie - chapitre XIX

"Aux usines elles-mêmes il n'a pas été apporté de changements bien sensibles............Mais à une courte distance de leur entrée principale, là où autrefois s'effondraient de pauvres bicoques occupées par deux garderies d'enfants du genre de celles de la Tiburce brûlée quelques mois auparavant, se montrent le toit flambant rouge et la façade mi-partie rose, mi-partie bleue de la crèche que M. Vulfran a fait construire............
Au centre du village se dressent d'autres toits rouges beaucoup plus hauts, plus longs, plus imposants : ce sont ceux d'un groupe de bâtiments à peine achevés dans lesquels sont établis des logements séparés, des réfectoires, des restaurants, des cantines, des magasins d'approvisionnement pour les ouvriers célibataires, hommes et femmes ;...........
Sur ces terrains éparpillés un peu partout, on aperçoit d'autres toits en tuiles neuves, tout petit ceux-là, et qui par leur propreté et leur éclat rouge contrastent avec les anciennes toitures couvertes de mousses et de sédum : ce sont ceux des anciennes maisons ouvrières dont la construction est commencée depuis peu, et qui toutes sont ou seront isolées au milieu d'un jardinet, dans lequel pourront se récolter les légumes nécessaires à l'alimentation de la famille qui, pour cent francs par an de loyer, aura le bien-être matériel et la dignité du chez-soi.
Mais la transformation qui à coup sûr eût frappé le plus vivement, surpris et même stupéfié celui qui serait resté un an absent de Maraucourt, était celle qui avait bouleversé le parc même de M. Vulfran, dans des pelouses qui, en le prolongeant, descendaient jusqu'aux entailles avec lesquelles elles se confondaient. Cette parie basse restée jusque-là presque à l'état naturel, avait été retranchée du parc par un saut de loup, et maintenant s'élevait à son centre un grand chalet en bois, flanqué d'autres cottages ou de kiosques construits à la légère, qui donnaient à l'ensemble une apparence de jardin public que précisaient encore toutes sortes de jeux, des manèges de chevaux de bois, des balançoires, des appareils de gymnastique, des jeux de boules, de quilles, des tirs à l'arc, à l'arbalète, à la carabine et au fusil de guerre, des mats de cocagne, des terrains pour la paume, des pistes pour vélocipèdes, un théâtre de marionnettes, une estrade pour des musiciens.
C'est qu'en réalité c'était bien un jardin public, celui qui servait aux jeux des ouvriers de toutes les usines : car si pour chacun des autres villages : Hercheux; Saint-Pipoy, Bacourt, Flexelles, M. Vulfran avait décidé de faire les mêmes constructions qu'à Maraucourt, il avait voulu qu'il n'y eût qu'un seul lieu de réunion et de récréation où pourraient s'établir des relations générales, qui deviendraient un lieu entre eux. Et la simple bibliothèque qu'il avait eue tout d'abord l'intention d'établir, s'était transformée, sans qu'il sût trop sous qu'elle influence, en ce vaste jardin où autour des salles de lecture et de conférence qui occupent le grand chalet central, se sont groupés ces jeux divers, dont le développement a exigé une partie même de son parc, de sorte que maintenant le cercle des ouvriers protège le château et le fait pardonner.

Hector Malot poursuit sa description du village ouvrier par une analyse des opposants aux réalisations neuves en mettant l'accent sur l'intérêt personnel face à l'intérêt collectif :

Les plus hostiles ont été les logeurs, les cabaretiers, les boutiquiers qui ont crié à la ruine et à l'oppression : n'était-ce pas injustice, un crime social qu'on vînt leur faire concurrence et les empêcher de continuer leur commerce dans les mêmes conditions qu'ils l'avaient toujours pratiqué, au mieux de leurs intérêts, comme il convient à des hommes libres? Et de même que lors de la création des usines, les fermiers s'étaient insurgés contre ces fabriques qui leur prenaient les ouvriers de la terre, ou les obligeaient à hausser les salaires, les petits commerçants avaient joint leurs plaintes à celles des cultivateurs ; ............les ouvriers étaient donc d'imbéciles de ne pas comprendre que tout cela n'avait d'autre but que de les enchaîner plus étroitement encore, et de leur reprendre d'une main ce qu'on semblait leur donner de l'autre. Des réunions s'étaient tenues où l'on discutait ce qu'il y avait à faire, et dans lesquelles plus d'un ouvrier avait prouvé qu'il n'était pas un imbécile comme tant d'autres de ses camarades.
Dans l'intimité même de M. Vulfran, ou plutôt dans sa famille, ces réformes avaient provoqué autant d'inquiétudes que de critiques. Devenait-il fou ? Allait-il se ruiner, c'est à dire les ruiner ?..............

L'auteur met ensuite dans les propos du Maître ce qu'il a dû recueillir auprès de Eugène MENIER , le chocolatier, en termes de conclusions à ses projets sociaux :
- Vous souvenez-vous, répondit M. Vulfran, que vous me disiez que c'était une qualité maîtresse de savoir créer ce qui est nécessaire à nos besoins ; il me semble qu'il en est une autre plus belle encore, c'est de savoir créer ce qui est nécessaire aux besoins des autres, et cela précisément ma petite-fille l'a fait. Mais nous sommes qu'au commencement, ma chère demoiselle : bâtir des crèches, des maisons ouvrières, des cercles, c'est l'a b c d de la question sociale, et ce n'est pas avec cela qu'on la résout ; j'espère que nous pourrons aller plus loin, plus à fond ; nous ne sommes qu'à notre point de départ : vous verrez, vous verrez. >>