étude



" Propos sur la peinture naïve "


Par Jean Roussaux, Professeur honoraire, Sorbonne Université



Texte d'une conférence de la SHALP au Palais de la Culture (14.10.2023)


          C'est vraisemblablement au Salon des Indépendants de 1886 que le mot naïf apparait dans la peinture. C'est pour caractériser les œuvres présentées par un inconnu, Henri Rousseau, le futur Douanier. Pour l'époque, un peintre naïf c'est un autodidacte qui ne respecte pas les critères de la peinture classique. Il ne respecte pas les dimensions du sujet, il ignore la perspective, il n'atténue pas l'intensité des couleurs dans les lointains, il choisit des sujets populaires. On doit donc reconnaitre facilement une œuvre naïve.

Sauf que les réputés naïfs ne satisfont pas tous à la totalité de ces critères et que, de plus, comme la peinture de la fin du XIXème et du début du XXème siècle s'est affranchie de la plupart des règles académiques, d'abord avec l'impressionnisme qui culmine avec les Nymphéas mais surtout avec l'explosion fauve des Matisse, Derain et de Vlaminck, celle des cubistes Picasso et Braque, le Surréalisme et les productions abstraites comme celles de Kandinsky. Avec Kandinsky qui considérait que « l'œuvre non figurative résulte d'une nécessité intérieure qui pousse l'artiste vers une forme d'art spirituelle libérée de toute référence au monde extérieur » le culte de la forme laissait place à l'expression d'une vérité intérieure, échappant à la rationalité, comme l'inconscient freudien échappe au champ actuel de la conscience. Corrélativement l'art des peuples dits primitifs, africains ou océaniens, devenait source d'inspiration en même temps que les productions enfantines ou celles de malades mentaux. Picasso faisait côtoyer dans son atelier des masques africains et des œuvres du Douanier. Depuis cet art naïf serait devenu un art authentique et ses œuvres picturales celles « de génies ingénus comme Rousseau ». Regardons-y de plus près.


1 - Henri Rousseau dit le douanier (1844-1910)

Au salon des indépendants de 1886, au milieu d'œuvres post impressionnistes, un peintre dont per-sonne n'avait entendu parler présente quatre tableaux dont Un Soir de carnaval (1a). Ils retiennent peu l'attention pourtant Henri Rousseau vient d'entrer dans l'histoire de la peinture.
Natif de Laval, comme Alfred Jarry qui sera l'un de ses défenseurs, Henri Jules Félix Rousseau est le fils d'un ferblantier et d'une mère d'origine bourgeoise. Au cours de ses études, qu'il fait en partie en pension, c'est un élève médiocre dont l'intérêt n'est guère porté que sur la musique et le dessin pour lequel il aura un prix. En 1860 il devient commis chez un avocat nantais mais à la suite d'une indélicatesse financière il est condamné par la justice en 1863. Il s'engage alors dans l'armée et y restera jusqu'en 1868.



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Fig 1a : Soir de carnaval                        Fig 1b : Environs de Paris                                      

Il s'établit alors à Paris et travaille comme clerc chez un huissier. C'est alors qu'il rencontre celle qui deviendra sa femme en 1869 : Jeanne Désirée Clémence Boitard. Le couple aura sept enfants mais seule une fille atteindra l'âge adulte. La guerre de 1870 le voit à nouveau mobilisé mais il est rapidement rendu à la vie civile et, la guerre terminée, il entre comme commis à l'Octroi de Paris, ce qui lui vaudra le nom de douanier, ce qu'il n'était pas. Vers 1872, profitant des loisirs que lui laisse sa fonction, il décide de peindre. Ses premières œuvres sont des paysages urbains (1b). En 1884, il entame, à la quarantaine, une carrière de peintre autodidacte. Il obtient une carte de copiste au Louvre et ouvre une boutique de papeterie dans laquelle sa femme vend ses tableaux. Il tente alors d'exposer au salon de 1885 mais est refusé (quoique certains prétendent qu'il y aurait exposé deux toiles). Il participe en 1886 au Salon des Indépendants, bénéficiant, semble-t-il, de l'absence d'un jury d'entrée. A ce salon Seurat expose son Dimanche à la grande Jatte. Rousseau restera fidèle au Salon des Indépendants et ses tableaux, d'abord critiqués voire ridiculisés, Courteline disait qu'il en avait acheté quelques-uns pour les placer dans son musée des horreurs, finissent par obtenir un succès d'estime. Certains s'étonnèrent cependant « que le monde d'une incurable indigence du pauvre douanier ait pu se traduire en de si admirables images ».

En 1887 son épouse Clémence décède de tuberculose. En 1889 il visite l'exposition universelle et s'y trouve confronté à toutes sortes d'exotismes qui influenceront sa production future. Il écrit Une visite à l'exposition de 1889, une œuvrette qu'il propose, sans succès, au théâtre du Châtelet. Dès 1891 il expose ses premières jungles au Salon des Indépendants. En 1893 il quitte l'Octroi et rencontre un natif de Laval comme lui, Alfred Jarry, l'auteur d'Ubu Roi. Par son intermédiaire il entre en contact avec des personnalités culturelles comme Rémy de Gourmont. Il collabore un temps à la revue l'Ymagier que Jarry et de Gourmont viennent de créer. Il ne peut cependant vivre de sa peinture et décide de donner des cours de dessin, solfège et violon. Il étend aussi sa production littéraire avec deux pièces de théâtre la vengeance d'une orpheline russe et l'étudiant en goguette. Il se remarie en 1899 (2a,2b) mais sa seconde épouse décédera malheureusement quatre ans plus tard.



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Fig 2a : Portrait de l'artiste à la lampe          Fig 2b, portrait de la seconde femme
                                                               de l'artiste à la lampe


Sa situation matérielle s'améliore lorsqu'en 1901 il est nommé professeur de dessin et de peinture à l'Association Philotechnique, une œuvre laïque qui participe à l'éducation du peuple. Cet emploi renforce son image de peintre marginal et modeste, proche des gens ordinaires, loin des prestiges de la vie mondaine chère aux peintres officiels ou de la vie bohême des peintres maudits. Il devient pourtant l'ami des uns et des autres, estimé par Derain et Matisse, rencontrant Robert Delaunay, Gauguin et Picasso. Il devient l'ami des littérateurs Apollinaire et Salmon et des amateurs d'art Wilhelm Uhde, Ambroise Vollard, Serge Férat ou la baronne D'Oettingen.



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Fig 3a : Le Bateau-Lavoir                                     Fig 3b : Le Rêve         

Henri Rousseau sera admiré par des personnalités du Tout-Paris comme Kandinsky, Cocteau, les surréalistes Soupault et Breton ou le dadaïste Tzara. Cette notoriété se matérialise déjà en 1908 quand Picasso offre au Douanier un banquet au Bateau-Lavoir (3a), auquel participent Marie Laurencin, Salmon et Apollinaire.

La vie de l'artiste va s'achever en 1908,1909 après une dernière présentation d'une œuvre, Le Rêve (3b), au Salon des Indépendants et un dernier amour platonique pour une veuve qui s'en moque. Il s'éteint à l'Hôpital Necker le 2 septembre 1910. Il est inhumé dans la fosse commune au cimetière de Bagneux. Ses amis se cotisent pour lui donner une sépulture décente dont la pierre est gravée d'un poème d'Apollinaire. Ultérieurement ses cendres seront transférées à Laval, sa ville natale.

L'œuvre du douanier est reconnue tardivement, elle ne peut être rattachée à aucune école. A une époque dominée par le courant impressionniste, puis les révolutions fauve et cubiste et le surréalisme, la peinture d'Henri Rousseau, essentiellement figurative, apparait comme totalement originale. Pourtant pour beaucoup elle fut considérée représentative d'un art naïf, à la fois parce qu'elle serait l'œuvre d'un autodidacte à l'inspiration populaire et qu'elle ne respecterait aucune des normes académiques.

Certes beaucoup des tableaux du Douanier répondent à la définition de l'œuvre naïve. On peut y trouver une gaucherie dans le dessin, des anomalies dans les proportions, une ignorance de la perspective, des couleurs plutôt crues, un traitement des lointains aussi accentué que celui des premiers plans d'où un manque de profondeur. Cela est particulièrement vrai pour certains paysages (4a) ou certains portraits mais on ne peut attribuer ces anomalies à une ignorance complète des bases du dessin car d'autres œuvres (4b) montrent une recherche de la perspective et de la hiérarchie des plans.



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Fig 4a : Seine et tour Eiffel au coucher de soleil          Fig 4b : Paysage au pêcheur à la ligne                    


Dans la promenade à Montsouris (5a), la présence ridiculement microscopique des promeneurs ne peut donc que correspondre à une volonté délibérée du peintre.


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Fig 5a : Promenade à Montsouris                  Fig 5b : Vue de l'Ile Saint-Louis                   

L'œuvre du Douanier comporte de nombreux paysages de Paris et de la proche banlieue, le viaduc d'Auteuil, l'ile Saint-Louis (5b), les allées du bois de Boulogne (6a), la Seine à Suresnes (6b), des vues de Malakoff, Meudon ou Saint-Cloud.



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Fig 6a : Bois de Boulogne en automne                                  Fig 6b : La Seine à Suresnes                   

Ce sont des représentations d'une innocente simplicité, parfois enthousiasmées par la modernité (7). Ce pont de Sèvres est pour certains la version picturale du rêve de Jules Verne. On y observe un aéroplane de l'époque, vraisemblablement un biplan Farman, un ballon et un dirigeable, images qui seront reprises dans d'autres tableaux du Douanier.



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Fig 7 : Vue du pont de Sèvres                Fig 8 : Portrait de « Monsieur F »      Fig 9 : Portrait de femme     

Plus que ses paysages ses portraits expriment un caractère naïf (8,9). Les visages évoquent ceux de marionnettes même si, avec ses moyens, il peut atteindre une certaine ressemblance avec le modèle. Le tableau (8) est présenté en 1906 comme le » Portrait d'un Monsieur F » ; il s'agirait d'une commande de l'écrivain Edmond Franck qui le détruisit. Mais Rousseau avait fait une copie considérée comme le portrait de Pierre Loti. Courteline aurait acquis cette toile pour la placer dans son musée des horreurs. On a beaucoup fait dire à ce tableau, on prétend y trouver une dimension psychologique, une vision de la mutation industrielle de l'époque qui serait évoquée par les cheminées dans le lointain !



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         Fig 10a : La Noce            Fig 10b : La muse inspirant le poète

Dans ses portraits en pied, les visages ressemblent à des masques (10a,10b) et les personnages ont une attitude empruntée, comme dans La muse inspirant le poète (10b), une représentation d'Apollinaire et de Marie Laurencin. Dans cette œuvre les visages sont figés, le décor végétal schématique, l'ensemble manque de profondeur. Pourtant, dans une lettre Apollinaire admire ce tableau : il dit « que Rousseau prenait les mesures de son modèle et les transcrivait sur sa toile : et que s'il ne m'avait pas peint ressemblant, le Douanier n'aurait fait aucune erreur ; les chiffres seuls se seraient trompés » . Et il poursuit : « Mais l'on sait que même ceux qui ne me connaissent pas m'ont immédiatement reconnu. Et le tableau si longtemps médité, tirait à sa perfection ; le Douanier avait fini de plisser la robe magnifique de ma Muse ; il avait achevé de teindre mon veston en noir, ce noir que Gauguin déclarait inimitable » . En ce qui me concerne, certains portraits, acceptables en reproduction, deviennent intolérables à leur taille réelle et ce noir inimitable est funèbre.

Quant aux jungles il faut les considérer comme l'expression de la volonté du peintre de présenter une sorte de décor de théâtre ou de tapisserie, ce que renforce leur taille souvent démesurée. Ce sont certainement les œuvres les plus connues du peintre. Dans les jungles la végétation occupe une place majeure, qu'il s'agisse d'amas de feuilles gigantesques soigneusement dessinées (11a) ou d'arbres dont l'appartenance botanique reste indéterminée. Parmi toute cette production végétale, la vie animale se fait discrète (11b) comme invitant le spectateur à la chercher dans une luxuriante verdure.



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Fig 11a : Combat de tigre et de buffle                 Fig 11b : Deux lions à l'affût dans la jungle,1909-1910

Les fleurs sont souvent démesurées comme dans Les Flamands (12a) mais ces derniers restent discrets et ils ont le cou court ! Quant aux singes (12b) ils attirent moins l'attention que les abondantes fructifications.



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Fig 12a : Les Flamands,1907                                Fig 12b : Singes dans la jungle        

Ceux qui baptisent l'œuvre du douanier de naïve rappellent qu'il était autodidacte, qu'il vivait comme un homme du peuple, que son univers esthétique se résumait à des photographies, des coloriages, des jour-naux illustrés, des visites à la ménagerie ou à la serre du Jardin des Plantes, tout l'attirail du goût petit-bourgeois. Bref c'était au plus un peintre du dimanche. Et pourtant ce peintre du dimanche donna des œuvres étrangement poétiques



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Fig 13a : La bohémienne endormie                                Fig 13b : La belle et la bête        

comme La bohémienne endormie (13a) que ne renierait pas Chirico et quelques réalisations comme Le Rêve (3b) qui ne devaient pas déplaire au pape du surréalisme, le catalan et fumiste Dali et aux poètes Aragon, Breton ou Eluard. Même dans quelques œuvres que condamnerait la bien-séance (13b) le Douanier ne se départit pas se son ingénuité.

Les tableaux du Douanier qui s'élèvent de manière étrange et insolite au-dessus des réalités, étaient peut-être un retour vers le Primitivisme prôné par Gauguin, une tendance exploitée par les fauves et les cubistes. Car Matisse, Derain ou Picasso admiraient -ou prétendaient admirer- les œuvres de Rousseau, ils participaient à sa renommée. Pourtant celle-ci était peut-être née d'une farce de potache montée de toute pièce par Jarry et Salmon. Ils auraient encouragé le Douanier dans la croyance en son propre génie. On vanta son originalité, on lui permit d'accrocher au Salon des Indépendants, on le mit sur le devant de la scène espérant de cette manière se moquer de ses prétentions et montrer la sottise du public qui serait amené à l'admirer. Mais l'image de ce « moderne primitif » fit son chemin, on trouva un intérêt aux toiles de ce petit peintre du dimanche et ainsi fut pris qui croyait prendre. Le Douanier était devenu un peintre reconnu.
Il est probable que le Douanier devait avoir acquis plus que des rudiments dans l'art de peindre. D'ailleurs pourquoi l'aurait-on embauché comme professeur de dessin à l'Association Philotechnique. Il ne pouvait pas non plus s'intituler professeur de violon sans un minimum de connaissances du solfège et de la pratique de l'instrument. Aussi le bonhomme devait avoir plus de connaissances artistiques qu'on ne lui en attribuait mais passer pour un « génial inculte » devait servir son ambition.

Car Rousseau ne manquait pas d'ambition. Il devait considérer son œuvre plastique comme de grande qualité, pour preuve la taille démesurée de ses tableaux, son insistance à proposer ses services, postulant pour la décoration des mairies de Bagnolet (1893) et de Vincennes (1898) et la création d'un décor mural pour la mairie d'Asnières (1900). Mais c'est surtout sa désarmante assurance qui montre la haute estime qu'il avait de son œuvre et de lui-même lorsqu'il écrit dans son autobiographie : « Il (lui) s'est perfectionné de plus en plus dans le genre original qu'il a adopté et est en passe de devenir l'un de nos meilleurs artistes réalistes » ou lorsqu'il murmure à l'oreille de Picasso lors du banquet* au Bateau-Lavoir « En somme toi et moi on est les plus grands peintres, moi dans le genre moderne et toi dans le genre égyptien ».
*L'hommage rendu à Rousseau ce jour-là montre bien toute l'ambiguïté de l'admiration que lui portaient peintres et littérateurs. On l'avait installé, dit-on, sur un trône dérisoire fait de caisses accumulées, la bougie d'un lampion situé au-dessus de sa tête perlait des gouttes de cire qui tombaient sur son crâne formant une sorte de stalagmite inquiétante. Pour certains amis de Picasso cet hommage était bien une farce ridiculisant le pauvre Douanier.

Quoiqu'on ait dit qu'il adhérait aux préceptes civiques issus des manuels scolaires, le douanier avait peut-être aussi une rigueur morale un peu élastique : il sera impliqué dans quelques indélicatesses financières et s'attriuera des palmes académiques et une médaille d'argent qui ne lui étaient pas destinées, allant jusqu'à exhiber ces titres sur ses cartes de visite. Cette médaille devait vraisemblablement récompenser le peintre Henri Emilien Rousseau (1875-1933) un polytechnicien, peintre académique, élève de Gérôme et second Grand Prix de Rome (1900). C'est un peintre orientaliste dans la lignée de Delacroix ou de Fromentin.,



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Fig 14a : Cavalier à la casaque verte               Fig 14b : La montagne Sainte-Victoire              

ses œuvres sont des huiles et des gouaches représentant des cavaliers (14a), des fantasias, des fauconniers, des villes fortifiées du Maroc, mais aussi des paysages de Camargue et de Provence. Il peint une belle montagne Sainte-Victoire (14b). C'est un peintre respectueux du sujet, loin des élucubrations de l'imagination, c'est un artiste consciencieux, un artisan au travail irréprochable, ce qui n'exclut pas l'originalité. Quand le Douanier s'aventure dans l'orientalisme il propose une vue d'Alger (15a) ou cette chasse au tigre (15b) de 1906.



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Fig 15a : Vue d'Alger                                                   Fig 15b : La chasse au tigre

Finalement l'œuvre du Douanier est probablement la plus faussement naïve qui soit, elle n'est pas dénuée d'une certaine rouerie qui servait son auteur. Néanmoins parce qu'elle était profondément originale, parce qu'elle affirmait un style esthétique nouveau délibérément choisi elle a mérité son qualificatif de géniale qui lui est souvent attribué. Mais la plupart des productions des peintres réputés naïfs, que le titre leur soit attribué ou qu'ils se l'attribuent eux-mêmes, ne sont pas qualifiées de géniales comme celles du Douanier !!

2 - Bref tour d'horizon dans le monde des naïfs

Séraphine Louis (1864-1942) dite Séraphine de Senlis


D'origine très humble, orpheline à 7 ans, Séraphine était une élève studieuse douée d'une belle écriture et pour le dessin. A sa sortie de l'école elle devient domestique à Compiègne puis à Senlis. Elle commence alors à peindre sans formation ce qui pour certains la rattache à l'art brut. Wilhelm Uhde, riche marchand d'art, découvre ses œuvres, il l'aide matériellement et présente certaines de ses toiles dans une exposition baptisée les Peintres du Cœur Sacré. Artiste dont l'imagerie poétique l'emporte sur la vérité familière, Séraphine était aussi une personnalité fragile. Lorsque son protecteur cessa de lui acheter ses toiles, lors de la crise de 1929, Séraphine, fortement perturbée, sombra dans la folie et fut internée à l'asile de Clermont où elle s'éteignit en 1942.



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Fig 16a : Bouquet de fleurs                                    Fig 16b : Pommes sur feuilles         

Les tableaux de Séraphine furent exécutés avec des moyens techniques plutôt sommaires qui néanmoins leur assurèrent une bonne conservation. Ce sont le plus souvent des bouquets (16a) ou des sujets végétaux (16b) dont l'artiste donne une représentation fantasmatique, respectueuse des détails mais totalement déstructurée et confinant à l'inconscient somnambulique. L'œuvre et la vie de Séraphine ont fait l'objet de nombreux travaux : des biographies, 2 thèses de doctorat et même un film. Au paradis des artistes, l'humble femme de ménage doit encore s'étonner d'une telle célébrité.


André Bauchant (1873-1958)

C'est un tourangeau horticulteur. Comme Séraphine, il quitte l'école à 14 ans et exercera son métier de pépiniériste. Il enrichit sa culture en lisant les vieux livres des bibliothèques de campagne, des catalogues de grainetiers ou le Petit Larousse illustré, s'intéressant particulièrement à l'histoire et à l'antiquité. Mais lorsque se déclare la grande guerre de 1914, il est incorporé, à 42 ans, et participe à la désastreuse expédition des Dardanelles.Il découvre alors la Grèce et crayonne des paysages de cette région qu'il ne connaissait que dans les livres. Démobolisé, il abandonne son exploitation et, en 1919, se consacre à la peinture avec des moyens techniques rudimentaires. Cela ne l'empêche pas de présenter quelques œuvres au Salon d'automne en 1921 qui sont remarquées par Le Corbusier et le peintre Ozenfant.



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Fig 17a : Fleurs,1955                                    Fig 17b : Château d'Ussé,1949         

Dès lors sa peinture est appréciée et ses tableaux font même l'objet d'une exposition en 1927-28 dans une galerie parisienne (Galerie Jeanne Bucher). C'est l'époque des ballets russes et de Diaghilev n'hésite pas à lui commander un décor pour la création de l'Apollon Musagète de Stravinsky. Par la suite il vit de sa peinture et ses œuvres seront présentées dans plusieurs expositions en France et à l'étranger, à Londres et New-York.

Il trouve son inspiration aussi bien dans la nature toute proche (17a), dans des scènes villageoises, kermesses et marchés que dans les sujets historiques (17b), voire bibliques, se rapprochant ainsi de la peinture académique. Bien qu'atteint d'un AVC en 1956 il continue à peindre mais s'éteint en 1958.Il aura jusqu'à ses derniers jours fixé sur la toile les fruitiers de sa jeunesse d'horticulteur, les kermesses célébrant des faits historiques et des paysages de son Val de Loire natal.

Camille Bombois (1883-1970)

Avec Bombois on ne quitte pas la terre et la vie provinciale. Il est d'abord ouvrier agricole, terrassier puis devient lutteur dans un cirque, ce que lui permettait une force musculaire peu commune. Mais contrairement à Bauchant qui restera provincial, Bombois s'installe à Paris en 1907. La proximité de Montmartre et de ses nombreux rapins lui donne l'envie de peindre. Alors qu'il est mobilisé, sa femme réussit à vendre quelques-unes de ses premières œuvres, ce qui encourage Bombois à persévérer. Comme beaucoup il exposait ses tableaux sur le trottoir, à la foire aux croûtes, une manifestation permettant à des artistes qui n'avaient pas accès au Salon des Indépendants de se faire connaitre. Ses tableaux sont appréciés par un journaliste, Noël Bureau, qui les présente dans la revue Rythme et Synthèse qu'il dirige. Bombois est lancé, des marchands d'art comme Uhde achètent ses toiles : il peut vivre de sa peinture.



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Fig 18a : Rue du faubourg                                    Fig 18b : Etang à Rixensart         

Il trouve son inspiration aussi bien dans des paysages qu'il traite en parfait coloriste que dans des sujets assez banals comme les lutteurs de foire ou des femmes nues, celles-ci rarement représentées chez les naïfs. Il apporte souvent une touche d'humour comme dans la rue du faubourg (18a) : n'y voit-on pas une dame venant de se soulager tandis qu'une autre, compatissante, lui tend du papier toilette par la fenêtre. Cette œuvre révèle la palette du peintre, un camaïeu de vert et de bleu parfois réhaussé d'ocre. Etang à Rixensart (18b), Belgique, est une des nombreuses œuvres dans lesquelles l'eau occupe une place centrale, souvenir de la jeunesse de l'artiste qui se déroula au voisinage des canaux du centre de la France puisque son père était batelier. Quant aux femmes, qu'il choisit plutôt replètes, il les peint sous tous les angles (18c,18d)



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         Fig 18c : Nu aux bras levés            Fig 18d : Grosse femme sur une échelle         

Louis Vivin (1861-1936)

Par un timbre la poste a rendu hommage à l'un de ses artistes, le célèbre facteur Cheval et son « Palais idéal ». Mais à ma connaissance Vivin n'a pas eu cet honneur bien qu'appartenant à l'administraion des Postes. Après un passage en collège technique à Epinal, c'est un vosgien, où il apprend le dessin industriel et la peinture, Louis Vivin entre à la Poste et y fera toute sa carrière. Très tôt il consacre son temps libre à la peinture, allant jusqu'à peindre sur les portes et les murs de sa maison. Il s'adonnera entièrement à son art lorsqu'il aura pris sa retraite en 1922. Il expose très tôt au Salon des agents de la Poste ; il y présente des tableaux de trains et des paysages. Il ne commencera à être connu que bien plus tard lorsque ses tableaux seront appréciés par les fameux marchands d'art Wilhem Uhde et Bodmer-Bing.



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Fig 19a : Le Panthéon              Fig 19b : Le moulin de la galette        Fig 19c : Le cabaret le lapin agile

Vivin est un peintre des architectures, des monuments (19a), des quartiers de Paris qu'il représente d'après des cartes postales qu'il collectionne. Son dessin est méticuleux comme si aucun pavé de la chaussée, aucune pierre de l'édifice ne devait échapper à l'observateur (19b,19c). Il procède par rabattement ; il en résulte des représentations manquant parfois de relief, ce que peuvent accentuer des couleurs pâles et d'égale intensité. Louis Vivin ne sera véritablement reconnu qu'après sa mort en 1936.

René Rimbert (1896-1991)

C'est un parisien, son père est doreur-encadreur et restaurateur de tableaux ce qui a dû le mettre très tôt au contact de la peinture. Ses goûts le portent vers les arts, le dessin, la musique. Mais son père, probablement soucieux de l'avenir de son fils, l'incite à entrer à la Poste, une valeur sure. Il aura même la double assurance car il se marie avec une postière. En 1914 comme l'armée utilise au mieux les compétences il est d'abord télégraphiste puis dessinateur à L'état-major. Sa carrière de peintre commence en 1920. Comme bien d'autres il expose au Salon des Indépendants. Ses œuvres attirent l'attention de l'illustrateur Marcel Gromaire qui devient son ami. Par la suite il reçoit les encouragements de Max Jacob, de Modigliani, de Braque et de Picasso. Son amour de la musique s'exprime encore par sa participation à la chorale de Saint-Sulpice. En 1983, il cesse de peindre, sa vue devenant très mauvaise. Il se retire avec sa femme dans le petit village natal de celle-ci, Perpezac-Le-Noir en Corrèze. Il s'éteint en 1991 et est inhumé dans le cimetière de Perpezac.



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Fig 20a : Petit paysage      Fig 20b : Porte de Vanves        Fig 20c : Synchromie argenteuillaise     
au Vermeer,1979                                                        en bleu majeur,1976                    


La peinture de Rimbert est inspirée par les maitres hollandais (20a) qu'il a certainement découverts au Louvre et lors d'un voyage en Allemagne mais aussi par Chardin et même le Douanier auquel il rend hommage par une œuvre de 1926. Il peint des natures mortes, les rues de son enfance à Paris (20b), celles de villes de Province, la Corrèze ou la Provence, de pays étrangers comme les Flandres (Bruges) ou des paysages italiens. Ce sont des marchands d'art et des critiques qui rangent Rimbert parmi les naïfs. Pourtant ce n'est qu'un demi-autodidacte : il a fréquenté l'Académie Colarossi où il perfectionne sa technique. Il fréquente de nombreuses galeries et participera à de nombreuses expositions. Son œuvre plutôt réduite montre des qualités évidentes de dessinateur et un style finalement très classique. D'ailleurs « ses coins de rue n'ont-ils pas une perfection toute hollandaise ? » Certains le trouvent surréaliste, d'un surréalisme souriant, comme dans ce détail d'un de ses tableau (20c) qu'une femme quitte par la gauche, laissant le calme et la " désertitude " s'installer.

Louis -Auguste Déchelette (1894-1964)

Déchelette est un peintre ... en bâtiment. Mais très jeune il tâte de la peinture artistique. La reconnaissance ne vient pourtant que tardivement quand un critique d'art, Robert Rey, découvre les œuvres de cet autodidacte qui s'inscrivent dans la lignée du Douanier. Louis-Auguste expose en 1942 et 1944 dans une galerie d'art rue du Cherche-Midi. Puis plusieurs de ses tableaux entrent dans des collections nationales. Mais l'heure de gloire ne dure pas, il n'est plus à la mode et la fin de la vie de Louis-Auguste sera difficile et son œuvre oubliée.



Etudeart022-21-A.jpg Etudeart022-21-B.jpg Etudeart022-21-C.jpg
Fig 21a : Veille de ducasse                  Fig 21b : recul des allemands en Russie    Fig 21c : La force au
                                                                                                                     service de la justice.


Peintre, il traite des sujets divers, des scènes de la vie en milieu urbain, de divertissements populaires, des compositions sentimentales ou humoristiques, friandes de calembours, comme dansVeille de Ducasse de 1943 (21a) (Une ducasse est dans le Nord une fête de village célébrant le Saint-Patron de la Paroisse). Mais c'est aussi un artiste politiquement engagé, dénonçant par ses toiles le fascisme et le nazisme. C'est un peintre de la résistance avec son Recul de allemands en Russie (21b). Avec son cycle iconographique d'une trentaine d'œuvres « De l'Ethiopie à la Paix » il illustre la montée puis la chute du nazisme. Dans La force au service de la justice (21c), le jeune homme c'est la force, il soutient une femme ailée, la liberté, et tient la main de la Justice. En arrière-plan des visages grimaçants : les ruines du nazisme et du fascisme. Certaines de ses œuvres sont exposées au Musée d'Art Moderne et au Centre Pompidou.

Dominique Paul Peyronnet (1872-1943)

Avec Peyronnet on découvre un imprimeur, spécialiste de la lithographie. Comme d'autres de sa génération il commence à peindre véritablement en 1920 après avoir commis quelques œuvres impressionnistes ; comme d'autres aussi il est découvert par un critique, une collectionneuse d'art et l'increvable Wilhelm Uhde lorsqu'il expose au Salon des Indépendants entre 1932 et 1935.C'est un peintre au coup de pinceau méticuleux. Ses sujets : des paysages, des sous-bois (22a) des bords de mer (22b). On retiendra son mystérieux Passeur de la Moselle (22c)), un souvenir de la guerre de 1870 dont on tira une chanson qui fit le bonheur du Café-concert parisien l'Eldorado. Dans ce tableau nocturne les ondulations de la surface de l'eau font écho aux ondulations de la colline.



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Fig 22a : La Forêt                    Fig 22b : Orage sur la digue                Fig 22c : Le passeur de la Moselle

Jean Eve (1900-1968)

Né dans une famille de cheminots du nord, jean Eve est admis à l'école coloniale du Havre en 1918.Il s'engage dans les spahis et produit ses premières aquarelles. Revenu à la vie civile il travaille dans les chemins de fer puis dans une fonderie. Il a presque abandonné la peinture quand la découverte de Courbet lors d'une exposition au Petit Palais lui redonne courage. Ses premières expositions, en 1931, se déroulent à Douai et à Lille. Par la suite il trouve des soutiens qui l'encouragent et peut exposer au Salon des Indépendants en 1937. Il participe à l'exposition Les maitres populaires de la Réalité qui sera ensuite présentée au Kunsthaus de Zurich et au Museum of Modern Art à New-York, ce qui lui vaut la légion d'honneur et le titre de commandeur de l'Ordre des Arts et des Lettres. Il meurt à Louveciennes. Une des rues porte son nom à Somain, sa ville natale.



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Fig 23a : Auberge du cheval blanc près du pont de Bezons          Fig 23b : Paris                                    

La peinture de Jean Eve est d'abord influencée par le futurisme et le cubisme mais il développe rapidement son propre style (23a,23b) plein de sincérité, « il peignait ce qu'il voyait, simplement de tout son cœur » a-t-on pu dire.


Jules Lefranc (1887-1972)

C'est un compatriote de Jarry et de Rousseau, il est natif de Laval. Fils de quincailler, il ne se consacre complètement à la peinture qu'à partir de 1928. Il habite dans le quartier de Belleville mais se retire en fin de vie aux Sables-D'Olonne où il meurt en 1972. Il est d'abord « le peintre de Laval » (24a) dira Louis Aragon mais c'est aussi un paysagiste (24b) peintre de la mer dont l'œuvre comporte plus de mille tableaux, un même sujet faisant parfois l'objet de nombreuses variantes comme ce Mont-Saint-Michel (24c).



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Fig 24a : Laval, vieux pont et château     Fig 24b : Château de Josselin     Fig 24c : Mont Saint-Michel        

Et d'autres naïfs

Bien d'autres « naïfs » français pourraient figurer dans ce petit catalogue : M. Amalia, A. Caillaud, G. Chaissac, A. Demonchy, F. Desnos, C. Loquen, J. Fou, E. Nonclercq dite Grand'mère Paris, J. Schubnel, E. Stern, A. Thomas, G. Van der Steen mais aussi les nombreux « naïfs » étrangers comme Gertrude O'Brady, une naïve d'origine irlandaise qui commence à peindre dans le style impressionniste, à Bougival.



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Fig 25a : L'escadrille.      Fig 25b : La gare d'Assise    Fig 25c : Manchester valley    Fig 25d : Le Kremlin

Découverte par le critique Anatole Jakovsky, elle expose en 1946 puis cesse de peindre en 1949 pour entrer dans un couvent en Italie. Elle peint des sujets nostalgiques de la belle époque, des femmes en ombrelle. L'escadrille de printemps (25a) de 1940 est une tentative naïve de rejeter les bombardements. On pourrait citer aussi Orneore Metelli, un cordonnier italien et sa gare d'Assise de 1938 (25b), Grandma Moses et Joseph Pickett et son Manchester Valley (25c), des naïfs américains, Chaïbia Talal, naïf marocain ou Sergey Zagraeïvski, un peintre et critique d'art russe (25d) ..


3 - Evolution de la peinture naïve

L'évolution de l'œuvre picturale des peintres réputés naïfs a souvent beaucoup d'analogies avec celle du Douanier. D'abord ce sont des gens du peuple, plus ou moins tôt ils expriment une soudaine inclination à peindre, sans envisager de faire une carrière de peintre, simplement pour satisfaire leur besoin de s'exprimer. Et leur expression est spontanée, ils ne peignent que ce qu'ils aiment, souvent des sujets populaires, des paysages, avec un style qu'ils se sont choisis et un système de moyens réduit mais auquel ils se tiennent invariablement, ce qui évidemment marque leurs limites mais aussi une certaine forme de sagesse qui les distingue des peintres à la palette versatile comme Picasso et bien d'autres.

Puis, pour certains, au cours des aléas de leur vie, des rencontres avec des artistes, des critiques d'art, des marchands d'art, vont infléchir leurs parcours ; ils deviennent véritablement des peintres reconnus. C'est pourquoi on a pu dire que l'art naïf a émergé grâce aux collectionneurs et marchands d'art comme Wilhelm Uhde (1874-1947) qui a joué un rôle majeur dès son arrivée en France en 1904. Il installa l'art naïf sur la scène française et internationale, ce que compléta le critique Anatole Jakovsky* (1907-1983) qui élargit la vision aux siècles passés. Le champ de l'art naïf s'est ainsi étendu aux primitifs italiens du XIII et XIV émes siècles comme Giotto (25a), aux flamands comme Campin et ses élèves, au primitivisme chrétien des premiers siècles de notre ère (25b) et bien sûr.. aux peintures rupestres (25c), pour ne s'en tenir qu'à l'Europe occidentale. Y aurait-il tant de naïveté dans la peinture ?
*Un Musée International d'Art Naïf Anatole Jakovsky a été inauguré à Nice en 1982. Il présente un panorama unique de l'histoire de la peinture naïve du XVIIIème siècle à nos jours.


Etudeart022-26-A.jpg Etudeart022-26-B.jpg Etudeart022-26-C.jpg
Fig 26a : Scène de la vie de la vierge,      Fig 26b : Les trois chrétiens      Fig 26c : Cheval rupestre          
        le mariage                                             dans la fournaise                                                                    


4 - La naïveté et les « grands peintres »

Nos grands peintres « modernes », ceux qui attirent un large public lorsque des expositions leurs sont consacrées, les Cézanne, Gauguin et autre Van Gogh qui ont montré que le génie de la création n'avait guère besoin de l'enseignement académique et que la vie de l'artiste est toute entière engagée dans une entreprise où il invente tout, son style, les principes qui le régissent et les moyens techniques de l'exercer, ces maitres incontestés auraient-ils produit des œuvres que ne renierait pas l'art naïf ? N'y aurait-t-il pas de la naïveté chez ces princes de la couleur et de la forme qui ont suscité de si vifs et féconds débats théoriques, à obéir, comme le Douanier et les naïfs, à une impérieuse et saugrenue vocation qui n'est autre que se servir de ses mains pour accomplir un bel ouvrage ? Exploration.

Paul Cézanne (1839-1906)

Il nait à Aix-en-Provence. Au collège il se lie avec Emile Zola qui restera son ami et le soutiendra. Après le baccalauréat il commence des études de droit. Parallèlement il suit des cours de dessins. En 1861 il se rend à Paris, fait connaissance avec des impressionnistes comme Pissaro. Il séjourne tantôt à Paris, tantôt à Aix. Il subit des échecs : il échoue au concours de l'Ecole des Beaux-Arts (1861), deux œuvres sont refusées au Salon de 1866. En 1870 il se retire l'Estaque près de Marseille. En 1873 il séjourne à Auvers-sur-Oise près de l'homéopathe Dr Gachet qui le soigne d'une dermatose ; là, il entreprend des œuvres de grandes tailles, 4 à 5 m (Une Ouverture de Tannhäuser). Puis il participe à la première exposition des impressionnistes : ses tableaux, La Maison du Pendu (27a), Une Moderne Olympia (27b), provoquent l'hilarité du public.
La maison du pendu est une œuvre qui suinte la solitude ce qui est en partie dû à des couleurs plutôt froides. Depuis le centre du tableau deux axes directeurs : le sentier qui monte vers la gauche, la route qui descend vers la droite. Les masses des maisons à droite et à gauche encadrent le lointain et donne artificiellement une profondeur au tableau. Certains veulent y voir des accolements de triangles ; ce qui est certain c'est l'absence de point de fuite. Tout cela pourrait être interprété comme des imperfections liées à une certaine naïveté.



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Fig 27a : La maison du pendu                                   Fig 27b : Une moderne Olympia             


Pendant son séjour à l'Estaque en 1878-79, il envoie des œuvres qui sont systématiquement refusées. En 1882, il s'installe au Jas-de-Bouffan, près d'Aix. Lorsque Zola publie l'œuvre (1886), Cézanne croit se reconnaitre en Lantier, le peintre raté : il rompt avec Zola. A la mort de son père il hérite d'une coquette fortune. A partir de 1899, de retour définitif à Aix, il continue son œuvre et finit par connaitre le succès lorsqu'une salle lui est consacrée au Salon d'Automne (1904). Il meurt en 1906 en peignant la campagne aixoise.

Pour Cézanne, le plus méprisé des artistes mais aussi le plus intellectuel peut-être, la peinture impressionniste tendait à être éclatante mais confuse, il voulait une couleur intense et énergique dans une composition néanmoins claire, tout en restant fidèle à l'impression qu'il avait de la nature. Progressivement il ramène les objets à des formes géométriques et conseille de « traiter la nature par le cylindre, la sphère et le cône ». Ses paysages sont découpés en plans successifs suivant une perspective aérienne, la confrontation de couleurs différentes remplace les ombres et le modelé. Ce que montre bien la confrontation de deux tableaux de la montagne Sainte-Victoire (27c,27d) dont il existe une vingtaine de variantes dont la moitié d'aquarelles.



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     Fig 27c : Sainte-Victoire,1885     Fig 27d : Sainte-Victoire, 1906-08    Fig 27e : Coupe de fruits, Verre
                                                                                                            et Pommes, 1879-80.


Comme la maison du pendu, certaines autres œuvres de Cézanne évoquent la peinture naïve : c'est le cas de la nature morte (27e). La composition est solide, elle a encore une facture impressionniste pourtant elle regorge d'anomalies. Les objets, la coupe, le verre, sont plus simples qu'ils ne sont dans la réalité. La perspective de l'ovale de la coupe est différente de celle du verre. Le pied de la coupe semble curieusement décentré. La table semble un peu inclinée vers la droite. Ces anomalies ne seraient pas dues à la maladresse mais à l'impression que veut donner le peintre : ces objets qui n'ont rien de remarquables en eux-mêmes deviendraient intéressants par le traitement que le peintre leur fait subir.

Paul Gauguin (1848-1903)

Il est baptisé post-impressionniste et considéré comme un peintre majeur du XIXème siècle. Il passe son enfance à Lima, son père fuyant le second Empire. Revenu en France, après ses études et un échec au concours de l'Ecole Navale, il s'embarque en 1865 sur un clipper comme élève pilote. Il restera dans la marine jusqu'en 1871. Grâce à son tuteur, le collectionneur d'art Gustave Arosa, il devient courtier à la Bourse de Paris et se marie avec une danoise. Il sera père de cinq enfants. En 1874 il découvre les impressionnistes, déjà il peinturlure par distraction puis collectionne quelques tableaux modernes dont le Cézanne Coupe de Fruits, Verre et Pommes. Mais ses affaires périclitent, il abandonne sa charge et, après un passage par Copenhague, il laisse sa famille au Danemark et revient en France.

On est en 1886. Après un bref séjour à Rouen, Gauguin veut découvrir un monde encore vierge : il s'installe en Bretagne pour un premier séjour à Pont-Aven. A Paris, Il rencontre pour la première fois Van Gogh. Puis il s'embarque pour le Panama et travaille au chantier du Canal. Fin 1887, il s'installe brièvement en Martinique à proximité de Saint-Pierre. Lors d'un deuxième séjour à Pont-Aven, en 1888, il dépasse les limites de l'impressionnisme et découvre l'importance de la religion pour les paysans, ce qu'illustrent Vision après sermon (28a) et Le Christ Jaune (28b). Ce dernier est du style gothique attardé mais « traité de façon rustique afin de s'adapter à l'idée que les trois paysannes se font du Sauveur ». Passage à Arles et conflit avec Van Gogh (l'oreille coupée). Deux-ans plus tard, en 1891, ruiné, à la recherche d'une vie épargnée par la civilisation et motivé par les écrits de Pierre Loti, il s'embarque pour la Polynésie d'abord Tahiti puis l'ile de Hiva Oa dans les Marquises où il mourra.



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Fig 28a: Vision après le sermon, 1888   Fig 28b: Le Christ jaune,1889   Fig 28c: Pastorale tahitienne,1898

A Tahiti Gauguin est confronté à l'art indigène ; Il réalise des gravures sur bois. La peinture de la dernière période est fortement influencée par la vie océanienne, son aspect sauvage et primitif ; les formes sont simplifiées, pleines, volumineuses bien que dépourvues d'épaisseur, accompagnées de grands aplats de couleurs vives donnant un ensemble dépourvu de profondeur(28c). Les œuvres sont souvent de grande taille comme ce D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? (28d) qui est considéré comme son testament avant une tentative de suicide en 1897.



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Fig 28d : D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?

Finalement le parcours sinueux de Gauguin est un parcours analogue à celui des naïfs. Jusqu'à trente-cinq ans, même si c'est un négociant prospère qui mène une vie bourgeoise, c'est un homme comme un autre, peut-être peintre du dimanche. Puis, sur le tard, il devient un peintre renommé, « un maitre de la couleur et de l'expressivité corporelle naïve, proche de la spontanéité enfantine » dont les idées picturales seront reprises par de nombreux artistes, comme le norvégien Edvard Munch et son fameux Le Cri. Alors naïf Gauguin ?

Suzanne Valadon (1865-1938)

Suzanne Valadon nait en milieu modeste, sa mère est blanchisseuse. Mère à 18 ans, acrobate de cirque puis modèle de Puvis de Chavannes, de Renoir et de Toulouse Lautrec dont elle devient la maitresse, ses dessins, des fusains, des sanguines, enthousiasment Degas. A leur contact elle apprend à peindre et découvre l'huile en 1892. Un temps maitresse de Satie (29a), celui des Gymnopédies et des embryons desséchés, elle devient celle d'un ami de son fils, le jeune peintre Utter, avec lequel elle se marie. Ses peintures (29b) valent « par la décision du cerne, des coloris vifs et francs, le piment de vérité populaire. Si un peintre mérite le nom de naïf, c'est celui-là ». Elle est en marge des courants de son époque et du cubisme naissant. Fille du peuple, toute chargée de la masse d'un vécu romanesque, elle a sur l'art un grand bon sens, ne nous dit-elle pas : « a-t-il jamais existé un peintre ayant peint comme il ait voulu : chacun peint comme il voit, ce qui revient à dire que chacun peint comme il peut ».



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Fig 29a : Portrait de Satie             Fig 29b : Nu allongé,1928                        Fig 29c : Adam et Eve

Sa vie est partagée avec son fils, Maurice Utrillo. L'œuvre Adam et Eve (29c) serait un autoportrait de Valadon et de son amant d'une quinzaine d'années plus jeune qu'elle. C'est « un hymne à l'amour et à la liberté des corps » qui se découvrent dans leur réalité charnelle. Eve s'apprête à croquer la pomme. Une photographie ancienne du tableau révéla que la feuille de vigne sur le sexe d'Utter a été ajoutée plus tard pour permettre une présentation au salon d'automne de 1920.

Maurice Utrillo (1883-1955).


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FIg 30a : Rue du Mont-Cenis                     Fig 30b : Mairie au drapeau                      Fig 30c : Rue   

Né de père inconnu, Utrillo, alcoolique notoire et « flamme vacillante », est l'auteur de vues de Montmartre (30a) qu'il copie « ingénument » à partir de cartes postales. Les moyens de sa peinture sont ce qu'il trouve : cartons badigeonnés de ripolin, plâtre qu'il mélange à sa couleur pour obtenir un blanc qui l'obsède (30b). Il produit de nombreux tableaux emprunts d'une certaine nostalgie (30c), il est souvent plagié. Après un séjour dans l'Ain, dans un château dont il était propriétaire, il s'installe au Vésinet. Il décèdera lors d'une cure à Dax en 1955. Alors naïf Utrillo ?

Henri Matisse (1869-1954)

Un peintre intellectuel dont le monde des objets se résume à une série de signes plastiques simplifiant la peinture, comme l'avait prédit son maitre Gustave Moreau. C'est un dessinateur mais aussi un coloriste révolutionnaire, au chromatisme vibrant, à l'origine du Fauvisme, avec Marquet, Derain et de Vlaminck. L'historien d'art Elie Faure les qualifiait de « primitifs » tandis que d'autres montraient leur parenté spirituelle avec l'art naïf.



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Fig 31a : Le bonheur de vivre,1905-1906                       Fig 31b : Le Pont-Saint-Michel,1900            

N'évoque-t-il pas la peinture naïve ce chef-d'œuvre du Fauvisme, La joie de vivre (31a) ? Dans ce tableau d'un paysage arcadien les plans se fondent en un seul, les masses de couleurs* vives enserrent le sujet central et les personnages, répartis au hasard et de toutes les tailles possibles, ont des contours schématiques. En arrière-plan, un groupe de femmes danse joyeusement en cercle, ce qui rappellera à beaucoup La Danse, l'œuvre de Matisse présentée à l'Hermitage. Des études antérieures de Matisse ne dépareraient pas une exposition naïve tel ce Pont saint-Michel (31b).
*La luminosité d'origine de la toile s'est atténuée avec le temps. Cela tient en particulier à la nature de la couleur jaune, du sulfure de cadmium, qui se dégrade sous l'action du temps et de la lumière.



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      Fig 31c : La desserte, harmonie rouge,1909           Fig 31d : Pichet en étain, citron et fauteuil,1939            

De même La desserte, harmonie rouge (31c) *, composition de lignes et d'aplats colorés, pourrait être l'œuvre d'un enfant, n'étaient la sureté des lignes et la rigueur de la composition. Quant à la nature morte Au pichet en étain, citron et fauteuil (31d), elle pourrait être l'œuvre d'un peintre novice qui ne maitriserait qu'imparfaitement la perspective et ignorerait que le relief s'obtient grâce aux ombres, transformant ainsi une tache jaune en citron !!
* En 1908 Le riche collectionneur russe Sergueï Chtchoukine (1854-1936) avait commandé pour son palais moscovite des panneaux muraux sur le thème de la danse et de la musique. Ainsi naitront La danse et la série des « Intérieurs symphoniques comprenant : L'Atelier rose, L'Atelier rouge, Intérieur aux aubergines, La Famille du peintre ».


Marc Chagall (1887-1985)

Né Moïche Zacharovitch Chagalov, c'est un biélorusse naturalisé français en 1937. C'est un artiste touche à tout, peintre sur toile ou sur vitrail, graveur, sculpteur mais aussi poète. On ne peut le rattacher à aucune école particulière mais il participe de plusieurs, du primitivisme au surréalisme ; il effleure le cubisme et développe un art centré sur la religion et le folklore juifs russes.



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Fig 32a : Moi et mon     Fig 32b : Costumes pour                Fig 32c : Plafond de l'Opéra Garnier,            
Village,1911                  l'Oiseau de Feu,1945                      détail.                               


Arrivé à Paris, il évoque ses souvenirs de jeunesse à Vitebsk dans Moi et mon village de 1911 (32a) puis les qualités décoratives de ses œuvres le font choisir pour des décors pour le théâtre Juif de Moscou (1919-1922), pour illustrer les Ames mortes de Gogol (1923), pour les décors et costumes (32b) de l'Oiseau de Feu de Stravinsky (1945), le plafond (32c) de la salle de spectacle de l'Opéra Garnier (1964) et un cycle décoratif de1966 relatant l'histoire biblique (32d)



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Fig 32d : Abraham et les trois anges         Fig 32e : Double portrait     Fig 32f : Le rêve,1927           
                 au verre de vin 1917


La peinture de Chagall rejette tout réalisme, elle propose souvent des paysages fantastiques, issus du rêve. Les personnages n'ont pas d'épaisseur et ils ignorent la gravité (32e), les formes son simplifiées. L'influence surréaliste se fait parfois sentir, juxtaposant des objets insolites dans des associations illogiques mais l'image est bien loin des préoccupations psychanalytiques de certains surréalistes ; en revanche elle secrète la joie de vivre et l'affection pour son prochain. Cet univers onirique (32f) comme celui de ses souvenirs (32a), est traité avec des couleurs franches, à la manière du fauvisme, des verts et des bleus profonds, des jaunes et des rouges éclatants.

En intégrant des influences diverses Chagall s'est créé un style bien personnel, symbolique et identitaire qui à bien des égards se rapproche de l'art naïf. L'œuvre de Chagall le place parmi les pionniers de la peinture moderne dans ce que certains appellent l'école de Paris.

5 - Conclusion

On a vu qu'à la suite du Douanier des peintres du dimanche, des primitifs qui se sont vus qualifiés (en France au moins) de « naïfs, parfois d'ingénus ou d'inexpérimentés, forment toute une constellation d'artistes oubliés ou méconnus. Leur peinture, aux tons soutenus, présente des sujets populaires, à l'aspect parfois enfantin, qu'ils traitent avec une grande minutie dans les détails et selon une technique qu'ils se sont choisis. Ces peintres peuvent appartenir à toutes les professions, être des oisifs, des enfants, des handicapés ou des fous.Tous n'ont pas du talent mais tous ont le droit de peindre et leur expression mérite le respect et même la découverte.

Ces artistes n'appliquent pas toujours les règles traditionnelles mais il y a souvent chez eux une certaine fraîcheur et une grande originalité. En paraphrasant la formule d'Aragon on pourrait dire « qu'il serait naïf de croire que leur peinture est naïve » Ces vrais naïfs on pourrait les qualifier de maitres puisqu'ils maîtrisent la totalité de leur art. Maitres Séraphine, Bauchant, Vivin... oui, ce sont des maitres naïfs. Beaucoup n'ont pas accédé à la notoriété mais tous ont fait leur œuvre avec la conviction d'un travail bien fait.

Mais comme on l'a vu, la naïveté ne serait pas l'apanage des seuls naïfs, bien d'autres peintres connus, comme Cézanne ou Chagall, ont proposé des œuvres que ne renierait pas l'art naïf. Pourtant lorsque le rejet des normes académiques, l'imagination, la simplification et la recherche d'un style, ramène ces peintres à « l'innocence première, à l'instinct retrouvé » dont parlait Apollinaire, ce n'est pas à leur sincérité, à leur ingénuité, à leur naïveté qu'on l'attribue mais au contraire on loue leur souveraine et consciente intelligence et leur génie.

Notre époque, plus que toute autre antérieure, est caractérisée par une floraison de productions picturales. Cette inflation s'explique : tout le monde peut faire de la peinture. Il n'est point besoin d'une formation comme en musique avec un passage obligé par une école. L'expression picturale est universelle et semble ouverte à tous puisque l'enseignement artistique n'est plus indispensable depuis que les grands créateurs du XIXème siècle ont produit leurs œuvres en opposition avec celui-ci.



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Fig 33a : Gaston Chaissac,           Fig 33b : André Demonchy,                       Fig 33c : Claudine Loquen,
Dandy de muraille sur fond bleu      Paray-Le- Monial                                      Au café des joues rouges           


Aussi actuellement, sous la bannière naïve, fleurissent encore de respectables productions de « primitifs modernes » comme Gaston Chaissac (1910-1964) (33a) ou André Demonchy (1914-2003) (33b) et des œuvres au style affirmé comme celles de Claudine Loquen (1965) (33c) et d'Alain Thomas (1942) (33d) qui sont l'objet d'évidentes recherches et de perfectionnement dans la technique choisie.
Sous cette bannière on trouve aussi, malheureusement, des tableaux un peu bâclés, singeant le style enfantin, des acryliques sans âme, peu soucieux du détail, simples produits commerciaux pouvant faire illusion, œuvres de faux-naïfs pour acheteurs naïfs (33e).



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     Fig 33d : La roulotte rouge                             Fig 33e Hans Beieri : Look 2021

On ne saurait clore ce texte sans présenter une belle œuvre (33f) du "primitif naïf " Alain Thomas, un peintre nantais à la riche palette. Elle évoque la forêt amazonienne et les belles musiques de Villa-Lobos.



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Fig 33f : Perruche et Amazone, Une fresque et un puzzle

Ainsi avec les œuvres de peintres réputés naïfs mais aussi avec celles de peintres renommés, comme Valadon, Matisse ou Chagall.a été abordé le problème de la naïveté dans la peinture. Cette revue a montré que la naïveté imprègne bien des œuvres et qu'il y a bien des analogies entre celles des grands maitres et les productions de tous les inconnus pour lesquels l'expression plastique est une seconde nature. Ainsi dans l'histoire de la peinture chacun trouve sa place depuis les sans talent, les sans grades, les génies ingénus comme le Douanier ou Séraphine de Senlis et les génies savants comme Picasso ou Matisse. Dans cette histoire-là, la peinture naïve est un art véritablement authentique.


Bibliographie :

Cassou Jean : Panorama des Arts Plastiques Contemporains, Gallimard,1960.
Charles Chassé : d 'Ubu-Roi au Douanier Rousseau, Ed. de la Nouvelle Revue Critique, 1947.
Janson H. et D. : La peinture dans le monde, Flammarion,1968.
Jobert Barthélémy : Cézanne, Encyclopédiae Universalis,2017.
Honour Hugh et Fleming John : Histoire mondiale de l'art, Bordas,1984.
Levêque Jean-Jacques : Henri Rousseau, le douanier, ACR Ed. 2006.
Manas : site naïf, Internet.
Muller Joseph-Emile : Cézanne, Fernand hazan éditeur,1987.
Verdier Philippe : Gauguin, Encyclopédiae Universlis,2017.

Nombreux articles biographiques dans Wikipédia, L'encyclopédie libre, dans Encyclopédiae Universalis et dans le Dictionnaire de l'Art et des Artistes, sous la Direction de Robert Maillard, Fernand hazan,1982.
Iconographie issue de Wikipédia, L'encyclopédie libre.




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