" Que faut-il penser des relations
entre l'art et la science "
I ère partie :
l'art dans la science : les "sciences dures", la botanique.
Par Jean Roussaux
L'art et la science sont deux des activités culturelles les plus importantes. Depuis longtemps de nombreux auteurs se sont interrogés
sur les relations qui s'établissent entre elles. La profusion des informations et l'ampleur du champ de connaissances que recouvre ce
débat rend illusoire de vouloir l'aborder en quelques pages, aussi nous limiterons-nous à l'examen, certes encore superficiel, des
relations entre la science et l'art pictural. Avant d'examiner la nature de ces relations il est souhaitable de bien préciser ce que
l'on entend par art pictural et science.
La science correspond à un ensemble de connaissances qui ont en commun d'avoir été vérifiées par des méthodes expérimentales codifiées
(cas des sciences physiques, de la nature et de la vie) ou établies par des règles qui définissent les propriétés d'éléments abstraits
(nombres, figures géométriques, fonctions.) selon un raisonnement déductif ou inductif logique (cas des mathématiques). Toutes ces
connaissances ont en commun d'être, à un moment donné, acceptées par la communauté scientifique mais elles sont révisables et
complétées au fur et à mesure du développement des recherches. La connaissance scientifique n'est donc jamais achevée. Les Sciences
sociales, sociologie, économie. échappent à ces critères, elles restent l'objet de débats et de théories difficilement vérifiables.
L'art pictural quant à lui est une somme d'œuvres produites par le génie créatif des artistes. Bien qu'on rattache souvent les
peintres à une "école" aucune loi ne s'impose à l'artiste et l'œuvre picturale, d'emblée crédible, ne peut évoluer une fois
achevée. Contrairement à la science l'art n'est pas perfectible mais, en revanche, les sources qui l'inspirent évoluent avec le
développement des connaissances ce qui justifie l'existence d'une histoire de l'art. L'art pictural reste néanmoins un domaine
de totale liberté pour la créativité personnelle, laissant une part majeure à la subjectivité même si l'apport de l'art
numérique vise à l'objectivité. Contrairement au scientifique dont l'œuvre est validée par ses pairs, celle de l'artiste est
soumise au jugement essentiellement fluctuant du public et de l'histoire.
L'art dans la science.
On distingue généralement dans les sciences, les sciences dites "dures ", mathématiques, physique, chimie et les sciences
"molles", les sciences de la vie et les sciences sociales, distinction probablement discutable puisqu'elle se réfère
principalement au degré de mathématisation de la discipline : on peut en effet s'interroger sur l'appartenance de la théorie
cinétique des gaz à la science dure et celle de la génétique des populations à la science molle.
1 - Les sciences "dures"
Quoiqu'il en soit, les sciences dures et tout particulièrement les mathématiques sont à l'origine de formes extrêmement
variées et parfois déconcertantes. Des polygones générateurs de polyèdres aux nombreuses curiosités géométriques et
topologiques (ruban de Moebius, bouteille de Klein, pavages, fractals), les mathématiques produisent des figures souvent
esthétiquement intéressantes (fig 1 et fig 2).
L'introduction de l'informatique et le développement de l'art numérique dont Véra Molnar (1924) est une pionnière, permet une
expression artistique pilotée par algorithmes. L'art numérique a évolué en fonction des progrès de la technologie et la création de
nouveaux logiciels. La théorie des fractales découverte en 1980 par Benoit Mandelbrot (1924-2010) a inspiré quelques artistes qui ont
proposé des réalisations de fractales harmonieuses comme le cercle limité (fig 3) de M.C Escher (1960). Un mathématicien artiste, Jos
Leys, propose des figures mathématiques à la valeur artistique indéniable (fig.4).
Cette réalisation d'images numériques suppose que la maitrise des structures mathématiques et celle de la programmation sont au
service de la création : le mathématicien se fait artiste et le clavier remplace le pinceau. Finalement les nouvelles avancées
mathématiques ont contribué à relancer l'intérêt des artistes pour la science mais il s'agit alors plus de la science dans l'art
que de l'inverse.
Mais la physique ou la chimie ne sont pas en reste. Des images d'interférences ou de spectres magnétiques en passant par
les représentations moléculaires on trouve des sujets que ne renierait pas le peintre. Néanmoins il faut reconnaitre que
toute cette iconographie résulte le plus souvent de dispositifs techniques dans lesquels la main de l'homme a peu à faire.
A la frontière des sciences dures, l'astronomie propose de belles images de nébuleuses, la minéralogie des cristaux et des
macles spectaculaires ou des agencements cristallins évoquant le végétal comme certaines cristallisations sensibles (fig 6)
si décriées par les zététiciens. La pétrographie propose de belles images de lames minces observées en lumière polarisée
(fig 5).
2 - l'art dans les sciences de la vie
Mais ce sont les sciences de la vie, la botanique et la zoologie, qui proposent les plus belles réalisations picturales, d'abord par
leur variété et parce que la main a souvent été, avant l'invention de la photographie, le seul moyen permettant d'illustrer les
observations et les théories touchant au vivant. Les œuvres picturales ont donc à la fois une fonction illustrative et valeur de
témoignage historique.
La botanique
La botanique a produit dans la représentation des plantes de remarquables œuvres. Pourtant, dans les premiers travaux de botanique,
ceux de Théophraste ou de Pline l'ancien les illustrations sont plutôt rares. La première édition De Materia Medica de Dioscoride ne
comportait, semble-t-il, aucune illustration alors que des images de plantes, encore approximatives, apparaissent dans les éditions
ultérieures (fig.7).
Fig 7 : Illustration dans le De
Materia Medica
Fig 8 :
Lilium
Les planches botaniques, que l'on rencontre déjà dans l'Herbarium du Pseudo Apulée ou le Circa instans de l'école
de Salerne du XIème siècle, ne se développent véritablement qu'au XVème siècle. Elles représentent déjà le plus exactement possible
les diverses productions de la plante : la tige feuillée, la racine, la fleur et le fruit. Ce développement est parallèle à celui des
herbiers et des premières flores comme celle d'Aldrovandi (1522-1605) ou le De historia stirpium commentarii insignes de
Leonard Fuchs (1501-1566) qui comportent de nombreuses illustrations qui n'ont pas toujours la rigueur de l'observation scientifique
(fig 8).
Mathias de Lobel (1538-1616), botaniste du Roi Jacques premier et Charles de l'Ecluse (1526-1609), créateur du jardin botanique de
Leyde, peut-être le premier mycologue, donnent des descriptions scientifiques des végétaux, l'un publie Plantarum seu stirpium
historia dédié à la Reine Elisabeth, l'autre Rariorum plantarum historia illustré de nombreuses gravures. A la même
époque, un botaniste suisse, Jean Bauhin (1541-1613) rassemble de nombreuses connaissances botaniques et les illustre de plus de 3000
gravures dans son Historia universalis plantarum.
Au XVIIème siècle la botanique devient plus scientifique avec Denis Dodart (1604-1707) et son Mémoire pour servir à l'histoire
des plantes (1676), véritable catalogue illustré des espèces végétales. Un botaniste explorateur, Charles Plumier (1646-1704),
rapporte de nombreux dessins qui décrivent des plantes d'Amérique tandis qu'un jésuite, Michal Boym, publie à Vienne une Flora
sinensis. Avec Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708) commence une véritable classification bâtie sur la structure des fleurs
et des fruits, illustrée de planches détaillées (fig 9).
Fig 9 : Fraxinelle
Fig 10 : Goethe, la feuille carpellaire
C'est évidemment la publication du Species plantarum de Carl von Linné en 1753 et l'introduction de la nomenclature binomiale qui
signe la véritable naissance de la botanique scientifique. Curieusement, Linné, comme les anciens, émettait des réserves sur
l'utilisation de la peinture dans la connaissance des plantes.
Au XVIIIème et XIXème siècles deux orientations caractérisent l'illustration botanique : une approche qui peut sacrifier l'esthétique
à la précision comme le florilège de Banks, recueil de gravures faites à partir des observations des botanistes qui participaient aux
voyages de James Cook entre 1768 et 1771 ou l'œuvre de Pierre Jean François Turpin et Pierre Antoine Poiteau qui décrit la plupart des
espèces de plantes des environs de Paris. Goethe (1749-1832), qui indique que « rien n'est plus important que le sujet » appartient à
cette tendance (fig 10). D'un autre côté, l'imagerie botanique des miniaturistes qui tout en se voulant toujours scientifique, fait du
dessin botanique un véritable art avec Pierre Joseph Redouté (1759-1840), le « Raphaël des fleurs », peintre du cabinet de la reine
Marie-Antoinette puis de Joséphine de Beauharnais et professeur au Muséum, et son frère Henri Joseph Redouté (1766-1852) qui participa
à l'expédition d'Egypte et qui sera un illustrateur zoologique, à l'inverse de son frère spécialisé dans les plantes.
Depuis si le dessin a encore fait progresser la science par sa vertu explicative il est progressivement détrôné par la photographie
qui donne une image non seulement rigoureusement exacte de l'objet mais esthétiquement intéressante comme ces "mousses" (fig 11) ou
les coupes d'organes végétaux (fig 12).
Fig 11 :
Marchantia polymorpha
Fig 12 : coupe de tige
Ce sont Robert Hooke dans son Micrographia de 1665, Nehemia Grew (1641-1712) et Marcello Malpighi (1628-1694) qui les
premiers avaient observé ces coupes d'organes végétaux, tige, feuille ou racine.
J.R 10/2022