étude



   " TECHNIQUES ET RAYONNEMENT
                                DE LA PEINTURE CHINOISE "


par Cham Amoros et Jean Roussaux



          La peinture traditionnelle chinoise est connue sous le nom de guohua. Elle se pratique à l'aide d'un jeu de pinceaux, de l'encre de Chine et d'un support, papier ou soie. La caractéristique principale de la technique de peinture à l'encre est l'impossibilité de rectifier ou d'effacer, le trait l'encre étant indélébile.
          Pour peindre le tableau chinois on utilise la même méthode que celle de la calligraphie. Le pinceau trempé dans de l'encre noire ou de couleur, permet de peindre sur du papier de riz, de la soie ou d'autres supports. Une fois terminée, l'œuvre peut être marouflée puis encadrée, ou montée sur des rouleaux et suspendue. Des peintures traditionnelles ont également été réalisées sur des murs, des éventails, des porcelaines et des objets laqués.
        Les thèmes abordés par la peinture chinoise sont variés : ils vont du portrait au paysage en passant par les fleurs, les oiseaux, les animaux dont les insectes. L'image est toujours accompagnée d'une poésie ou d'un thème calligraphique et d'un sceau.



1 - Technique



A - Les techniques en peinture chinoise


Le Gongbi 工笔画 (Pinceau soigneux ou Pinceau habile), au crayon et/ou pinceau. Cette technique est caractérisée par sa finesse, une attention minutieuse accordée aux détails, une délimitation nette des surfaces colorées. Surtout appliquée aux portraits et aux descriptions narratives, cette technique était souvent celle des peintres de la cour impériale.


Etudeart017-01.jpg      Etudeart017-02.jpg     Etudeart017-03.jpg Gongbi                                    Baimiao                                               Mogu          


Le Baimiao 白描画 (Dessin au trait ou Dessin blanc), présente uniquement les contours dessinés à l'encre noire.

Le Mogu 没骨画 (Sans ossature), au contraire du Baimiao applique les couleurs sans aucuns contours.

Le Xieyi Hua 写意画 (Ecrire l'idée ou Ecrire l'intention), caractérise un dessin libre destiné à exprimer des impressions au moyen de tracés amples. C'est également une technique de peinture à main levée, qui est généralement appliquée aux paysages.

Le Shui Mo Hua 水墨画 (Encre et eau), est une variante du Xieyi hua, mais à l'encre noire uniquement. Cette technique joue sur le vide et le plein. L'espace libre occupe une surface importante du tableau. La mise en place du sujet se fait d'un seul jet.


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Xieyi Hua                                    Shui Mo Hua


En principe, afin de réaliser des tableaux, le peintre doit maîtriser le maniement du pinceau, le dégradé de l'encre et des couleurs, le niveau d'encre absorbée par le pinceau et le tracé définitif. Le papier absorbe immédiatement et définitivement l'encre, le tracé est donc impossible à corriger, il doit donc être pertinent et précis. L'artiste doit avoir imaginé la figure qu'il souhaite réaliser avant de commencer une œuvre. Cette technique permet la meilleure expression de l'âme du peintre et de l'essence de l'image peinte. Une véritable philosophie de la proposition picturale.



B - Les outils pour la peinture chinoise.


Les pinceaux
Le pinceau chinois est d'une importance capitale dans la peinture chinoise. c'est un outil beaucoup plus raffiné que le pinceau occidental. On distingue parfois le pinceau de calligraphie qui retient bien l'encre et permet un trait net et modelé et le pinceau à peinture qui permet le mélange eau et encre destiné aux lavis et à une forme d'aquarelle. Mais le pinceau chinois peut aussi assurer les deux fonctions : calligraphie et peinture. Avec un seul et même pinceau, on peut tracer aussi bien des lignes extrêmement fines que des lignes très épaisses. Il s'agit alors d'un pinceau formé d'une couronne de poils courts et doux qui agit comme réservoir et que prolonge le noyau formé de poils résistants, plus longs, à pointe fine. Les poils de ces pinceaux ont des origines diverses : poils naturels de martre, de poney, de chèvre ou de loup ou poils synthétiques, fibres de polyamide peu satisfaisantes pour des techniques aqueuses.
Peinture et calligraphie sont deux arts étroitement liés dans la peinture chinoise. Non seulement de nombreuses œuvres portent des inscriptions calligraphiques, mais les tracés des contours ont, souvent une apparence nettement calligraphique.



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Jeu de pinceaux chinois                                       pierre à encre            


Les pigments de couleurs et les encres
Les couleurs sont, comme partout dans le monde, constituées de pigments opaques provenant de matières végétales ou minérales finement broyées et mêlées à un liant, en général une gomme (arabique provenant d'acacias, adragante d'Astragalus ) ou d'une colle animale par exemple pour la peinture sur soie. La quantité de liant est plus importante dans le cas des encres chinoises que dans le cas des peintures destinée à l'aquarelle en occident ce qui leur donne une résistance particulière à l'usure du temps.
L'encre de Chine, probablement apparue au IIIème siècle, est une encre noire, opaque, indélébile, dont le pigment est initialement le noir de fumée ou de l'os carbonisé mais l'invention de pigments synthétiques au XIXème siècle a permis la fabrication d'encre de Chine de compositions variées (encre au carbone, noir d'aniline, encre métallo-gallique*). La composition de l'encre de Chine est donc différente selon les époques et les régions.

*Une encre métallo-gallique est une encre contenant un acide tannique provenant de la noix de galle (nodule porté par les feuilles de chêne et du à un insecte) ou des tannins provenant de l'écorce. Le mélange aqueux de tannins est macéré ou bouilli avec un sel de fer et un liant, gomme arabique ou lie de vin. Il en résulte un liquide noir de nature colloïdale auquel on peut ajouter un conservateur pour éviter la prolifération bactérienne. Ce type d'encre a été utilisé en Europe occidentale dès le moyen-âge.

L'encre de chine peut aussi se présenter en bâton dans lequel l'encre est associée à une colle de protéine genre colle de poisson. Bâton d'encre, pinceau, papier de riz et pierre à encre sont les « quatre trésors » de la calligraphie et de la peinture chinoise mais aussi coréenne et japonaise. La pierre à encre est une pierre taillée, de forme rectangulaire ou ovale. Le bâton d'encre y est frotté dans de l'eau afin d'obtenir de l'encre de Chine liquide utilisable au pinceau.

Les papiers
Les papiers utilisés en peinture chinoise sont d'origines variées : papier de mûrier, de paille de riz ou de blé sont des papiers de qualité parfois médiocre. Le papier de bambous est plutôt réservé à l'impression de livres. Enfin, les artistes de la cour et les lettrés utilisaient le papier Xuan.

Le papier Xuan ou papier Shuen est un type de papier à dessin originaire de Chine.Ce papier est produit dans la ville de Xuancheng, célèbre pour ses " quatre trésors " des lettrés. La suite des étapes de production est longue (plus de 140 étapes) et transmise oralement de génération en génération. Il n'est pas extrêmement robuste, mais fortement absorbant et lisse, ce qui le rend particulièrement apprécié pour la peinture et la calligraphie traditionnelles.

Le papier de marouflage
Une fois la peinture terminée on peut coller le tableau sur un papier de marouflage à l'aide d'une colle liquide, poudre du riz gluant cuit dans de l'eau. Ce papier est plus épais et plus résistant que le papier à dessiner,

Les Sceaux
Ce sont initialement des formes d'identification graphiques qu'utilisaient les empereurs pour affirmer l'authenticité d'un document. Les sceaux ont aussi été utilisés par les peintres comme signature de leur œuvre En remplacement d'une signature manuelle. C'est sur l'extrémité, de forme ronde ou carrée, d'un bloc de jade ou de pierre, voire de bois ou de bambou, que l'on grave le sceau. C'est une sorte de tampon qui pourra être encré généralement avec de l'encre rouge.
Le peintre appose ses sceaux lorsque le tableau est terminé. Ce dernier peut comporter non seulement les sceaux du peintre (sa signature) mais aussi, éventuellement, les sceaux des propriétaires successifs de l'œuvre,



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C - Réalisation d'un tableau, Illustration.


Le peintre fabrique d'abord de l'encre noire en frottant le bâton d'encre sur la pierre, il ajoute de l'eau au fur et à mesure pour obtenir la qualité d'encre souhaitée. Il peut alors peindre son sujet et terminer par la calligraphie.



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Pierre à encre                                                 Le geste du peintre                 


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     Le peintre finissant son tableau                        La calligraphie     


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Le marouflage


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Fleurs et oiseaux                                           Fleurs et Insecte                      


Le tableau est terminé. Il a son style "fleurs et oiseaux" ou "fleurs et insecte" par exemple, sa poésie en calligraphie, la signature du peintre et le sceau...



2 - L'introduction de la peinture chinoise dans d'autres pays en Asie



La peinture chinoise a été introduite dans d'autres pays en Asie de l'est et du sud-est, comme la Corée, le Japon ou le Vietnam. Elle a été fortement influencée par les paysages locaux, par le style de vie et la culture de ces pays.

Dans la peinture coréenne et la peinture japonaise, on constate que l'usage des pigments et de l'encre noire est plus discret que dans la peinture traditionnelle chinoise. Ainsi, le respect du" vide et du plein" est nettement plus marqué.

En Corée, comme en Chine, la peinture a été l'œuvre de peintres professionnels et de lettrés. Elle a produit des paysages, des peintures d'animaux, des compositions « fleurs et oiseaux » et des portraits. Le style Shui Mo Hua, est très utilisé en Corée : il s'agit d'une sorte de lavis "encre et eau" introduit en Chine au VIème siècle et particulièrement utilisé sous la dynastie song. Voici quelques exemples de peintures coréennes.



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Au Japon, la technique de peinture originaire de Chine, importée au VIIème siècle, deviendra un style purement japonais, sublimé par des artistes locaux talentueux.

Le style Sumi-e, né en Chine, est repris par les Japonais grâce aux moines bouddhistes Zen. Littéralement il s'agit d'une peinture ou d'un dessin à l'encre noire, mais c'est en fait aussi une sorte de lavis dans lequel le peintre modèle son œuvre en jouant sur la position du pinceau, la densité de l'encre, la force et la vitesse de l'exécution, ce qui provoque des différences dans la netteté des tracés et dans l'intensité des gris. Deux autres styles utilisés au Japon sont le Nihonga, peinture conforme aux conventions picturales traditionnelles du Japon mais perméable à des influences étrangères, et le monochrome Zen, de tradition bouddhique.

Les outils et les supports utilisés par les artistes japonais sont identiques à ceux des artistes chinois.

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Le style Nihonga au Japon


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Le style monochrome zen au Japon


Au Vietnam, les techniques de la peinture chinoise furent appliquées à partir du VIIème siècle, comme pour la Corée ou le Japon. Néanmoins, les créations picturales ne s'épanouissent véritablement qu'à partir du XVIème siècle, les styles et les compositions sont alors modifiés pour s'adapter aux influences locales, aux paysages, au style de vie et à la culture du lieu. Quant aux activités lettrées calligraphiques, elles se développent jusqu'au début du XIXème siècle. La calligraphie chinoise était d'ailleurs utilisée dans le pays pour les documents officiels.

Au XXème siècle, la création en 1925 de l'Ecole des Beaux- Arts de l'Indochine (qui devient l'Ecole des Beaux- Arts du Viet-Nam) stimule le développement des arts plastiques. La peinture sur soie s'épanouit à partir de cette date ainsi que la peinture sur porcelaine et sur céramique.

Au début du XXIème siècle, La peinture chinoise est de retour et rencontre un véritable succès.

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Paysage vietnamien (encre de Chine et pigments)


3 - Développement de l'art traditionnel et de l'art moderne chinois



A la fin de XIXème siècle, on assiste à une floraison de l'iconographie traditionnelle : "homme et chose", "herbes et insectes", "fleurs et oiseaux", "montagnes et eaux" mais aussi à l'apparition de nouveaux thèmes, les peintres se confrontant à de nouveaux styles. L'essor des cités urbaines favorise la diffusion des idées modernes à travers les œuvres artistiques.

Au cours du XXème siècle, on assiste à une mutation sans cesse plus affirmée de l'expression artistique chinoise. Cette mutation trouve ses fondements dans une double aspiration : le désir de modernité mais aussi la reconquête de l'iconographie traditionnelle chinoise.

Cette transformation de l'activité plastique chinoise est annoncée par la création d'un marché d'art et l'émergence d'une grande liberté dans l'expression picturale. En même temps, la peinture devient une activité en plein temps, comme chez beaucoup de peintres occidentaux.

Parallèlement émerge une nouvelle génération d'artistes formés à l'école occidentale. La rencontre entre l'expression artistique traditionnelle chinoise et l'art occidental transforme le style des artistes qui qualifient leur pratique de "nouvelle peinture chinoise" ou de "peinture moderne chinoise".

Désormais, pour créer leurs œuvres, beaucoup d'artistes chinois réutilisent l'encre et des pigments traditionnels en les associant à des techniques modernes alors que d'autres s'expriment comme des occidentaux, par l'intermédiaire de l'huile sur toile tout en se référant à la tradition chinoise.

Voici trois exemples d'œuvres modernes sur papier à base d'encre et de couleurs traditionnelles.

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Ci-dessous deux peintures du style "montagnes et eaux" qui, habituellement réalisées avec encre et pigments traditionels de Chine, sont ici des peintures à l'huile sur toile exprimant la liberté de l'artiste dans le choix des matériaux et le traitement du sujet.


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J.R - C.A 10/2021